dimanche 11 juillet 2010

Le révisionniste (Portraits VI)


Tant qu’à exercer son sens critique, qui est une chose louable, (là est le fondement acceptable dont le révisionniste prend prétexte) autant le faire de façon positive et constructive. De fait, il y a dans l’Histoire mille et un exemples d’informations présentées pour vrai de vrai dans le passé qui se sont révélées être du pipeau à la fin. Ne serait-ce que les WMD. La différence avec le regard critique porté sur la "version officielle" de l'Histoire, c’est qu’il est toujours possible, finalement, de débusquer les mensonges. Alors que dans le cas du révisionnisme, on attend toujours des preuves de son délire. Toujours et sans fin. Napoléon n’est pas mort à St Hélène, Jeanne d’Arc n’a pas été brûlée sur le bûcher à Rouen, Naundorf était Louis XVII etc. 

Le révisionniste peut toujours TOUT remettre en question sans apporter la moindre preuve de ce qu’il avance mais, à ses yeux, accepter quoi que ce soit (Anastasia, Armstrong sur la Lune, Elvis is alive and so on…) c’est faire preuve d’une consternante naïveté, appartenir au troupeau des imbéciles qui gobent tout ce qu’on leur raconte (la “version officielle” -car il y a l’autre version qu’on nous cache bien entendu…) alors que lui est un malin auquel on ne la fait pas mais il est sympa, il est prêt à nous aider à ouvrir les yeux. Dans le respect bien entendu de notre libre arbitre, nous sommes adultes n’est-ce pas, il ne nous contraint à rien croire précisément. Mieux, il ne prétend même pas qu’il a LA vérité mais il nous encourage (car c'est un bon apôtre) à être vigilants, critiques, et à développer notre intelligence. Un humaniste on vous dit… 

Les révisionnistes et autres obsédés du complot usent d'un procédé des plus classiques, c’est vieux comme le monde et parfaitement maîtrisé par les sophistes d’il y a quelque 25 siècles: Exiger de leur interlocuteur qu’il apporte la preuve du contraire de ce qu’ils avancent, eux, sans la moindre preuve. Laquelle “preuve” bien évidemment devra être appuyée d’une autre preuve et ce à l’infini puisqu’aucune ne sera jamais reçue pour la bonne raison qu’il est logiquement impossible de prouver l’existence du non-existant.

Prouvez moi sur le champ qu’il n’y a pas de petits hommes verts sur Mars! Alors? J’attends… Non, vous ne me prouvez pas qu’il n’y en a pas donc je maintiens qu’il y en a… Prouvez-moi que la Terre ne tourne pas autour du Soleil! Hein? Non, votre explication n’est nullement convaincante donc tant que vous ne m’aurez pas convaincu du contraire je maintiens que le Soleil tourne autour de la Terre. Et je ne serai jamais convaincu car je n’ai nulle envie de l’être puisque ma jouissance c’est de vous balader au gré de mes fantasmes. 

Il n'est qu'une façon de faire face au négationniste et c'est lui opposer cette formule latine: Affirmanti incumbit probatio (the burden of proof is upon him who affirms). Mais comme il est malin dans sa perversité (c'en est presque un pléonasme) il inverse la charge de la preuve et c'est à vous de prouver que ces allégations sont délirantes. 

Le révisionniste connaît intuitivement dirait-on la formule latine Quod gratis asseritur gratis negatur (what is asserted without reason may be denied without reason) et il se démène de pitoyable manière pour apporter des semblants de preuves qui ne sont en fait que des interrogations. Il se garde bien d'apporter la moindre preuve de quoi que ce soit mais s'essaye à contourner la version dite "officielle" en instillant le doute. Il se la joue Socrate qui place son interlocuteur devant ses incertitudes et contradictions. Pour un peu le révisionniste ferait œuvre de salubrité publique. C'est pour notre  bien qu'il exerce sa perversité.

Stade archaïque de la relation à l’autre (cf. l’enfant et le bobineau chez Freud) qu’on ne considère pas comme son égal mais comme un objet avec lequel on peut jouer à volonté de telle sorte que sa potentielle dangerosité est sous contrôle. Par où on récupère le schéma habituel des paranoïaques: il s’agit de se protéger de l’Autre et pour se faire on anticipe et on l’entraîne dans des divagations dont on "maîtrise" le fil conducteur. Mais pour cela il faut bien entendu ne jamais lui laisser de répit et toujours l’entraîner plus loin, à l’infini de pseudo interrogations auxquelles jamais il ne peut être répondu. 

Le paranoïaque relevant de la psychiatrie, il est pour le révisionniste nécessaire de ne pas se trouver catégorisé dans un champ clinique alors pour donner le change on la joue "scientifique", rationnelle. Ça peut et doit faire illusion mais, in fine, il s’agit bien du même registre paranoïaque. Et chacun sait qu’au fond la paranoïa exprime la haine de soi qu’on expulse sur les autres.

La finalité des mécanismes paranoïaques est bien de tenter dissoudre la réalité de tout un chacun, la réalité objective qu’ils se refusent à intégrer car elle leur paraît porteuse de dangers pour eux, afin d'essayer, en vain bien sûr, de lui substituer leur réalité composée et recomposée à leur façon et selon leurs besoins de réassurance. Là ils espèrent trouver leur place, à l’abri des autres. Comme c’est évidemment impossible ils ne peuvent que persister dans leur entreprise de désagrégation de leur tissu social, culturel, historique. 

Le révisionniste “travaille” sur l’Histoire, le temps, le contenu du temps qui est infiniment plus malléable que ne l’est l’espace qui est l’étendu de la matière. Un coup sur la tête ça fait toujours mal, révisionniste ou pas, on ne peut y échapper. Tandis que le temps, qui est le rapport qu’entretient la matière avec l’espace, laisse toute latitude aux interprétations même les plus délirantes et personnelles.


La Mémoire (René Magritte)

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Flocon !
Je n'avais pas fini de lire le billet, mais je comprends tout de suite la sorte de personne dont tu parles. Mais deux choses in the meantime:

1) Jeanne d’Arc n’a pas été brûlée sur le bûcher à Rouen..

I feel duped! And here I thought that this was an historical fact. (Its common these days to say a historical fact), but I digress..

2) C'est quoi la compte de fée vis-à-vis Waterloo ?

Anonyme a dit…

Et voilà une des erreurs dont hier nous avons fait référence ..

"It's common", et non pas "its common"..

Pourquoi relire après d'avoir publié la commentaire et non pas avant je me demande.. :/

Anonyme a dit…

Dans le respect bien entendu de notre libre arbitre, nous sommes adultes n’est-ce pas, il ne nous contraint à rien croire précisément. Mieux, il ne prétend même pas qu’il a LA vérité mais il nous encourage (car c'est un bon apôtre) à être vigilants, critiques, et à développer notre intelligence

hahaha! You are so perfectly describing this situation. You have me laughing about this Flocon.

Anonyme a dit…

Exiger de leur interlocuteur qu’il apporte la preuve du contraire de ce qu’ils avancent

Indeed, Proving a Negative,
one of many logical fallacies:

Proving the non-existence of that for which no evidence of any kind exists. Proof, logic, reason, thinking, knowledge pertain to and deal only with that which exists. They cannot be applied to that which does not exist. Nothing can be relevant or applicable to the non-existent. The non-existent is nothing. A positive statement, based on facts that have been erroneously interpreted, can be refuted - by means of exposing the errors in the interpretation of the facts. Such refutation is the disproving of a positive, not the proving of a negative.... Rational demonstration is necessary to support even the claim that a thing is possible. It is a breach of logic to assert that that which has not been proven to be impossible is, therefore, possible. An absence does not constitute proof of anything. Nothing can be derived from nothing." If I say, "Anything is possible" I must admit the possibility that the statement I just made is false. (See Self Exclusion) Doubt must always be specific, and can only exist in contrast to things which cannot properly be doubted

Anonyme a dit…

Flocon, I don't know if you remember but the very first time that I ever encountered you was on a French blog (and darn it, I forget the name, but it was run by two Frenchmen living in the United States) and you and Superfrenchie and I were discussing the 9/11 conspiracy stuff with some French guy and I brought up the notion of proving a negative and you posted right away agreeing with me..

Seems that those times were so long long ago..

Mon dieu que chui bavarde ce soir.. j'arrête!

Flocon a dit…

Anijo,

1°) Il y a 2 ou 3 ans quelqu'un prétendait détenir des os brûlés qui auraient été retrouvés sous le bûcher de Jeanne d'Arc.

Après analyses, il apparut que ce n'était que des os calcinés de mouton (ou quelque chose comme ça) datant du XIXth.

Il y a toujours une fascination trouble vis à vis du passé chez certains.

I think it has to do with their own past which they don't feel confortable with.

Pour Waterloo c'est moi qui suis responsable. Je voulais juste élargir les exemples et j'ai pris Waterloo au hasard alors que je ne crois pas qu'il y ait de mystère à ce propos.

I should have chosen Anna Anderson who duped quite a lot of people for decades.

The English article on Wiki is gold rated!

Actually the fake Anastasia wasn't exactly a revisionist but yet her case is very close to revisionism.

(Mick Jagger mentions her in Sympathy for the devil)


2°) Typos are typos and that's about it.

Je fais des erreurs monstrueuses ici même, que je corrige plus tard quand je les vois. Il en reste toujours... :-(

3°) le lien que tu donnes sur les fallacies est très intéressant. je l'ai copié en .word pour l'imprimer.

Tu trouveras ici le petit article que Wiki consacre à un livre de Schopenhauer (The art of being right)

Here you have it in an illustrated version et ici le texte bilingue anglais/allemand.

In this book, Schopenhauer writes in absolute bad faith. En fait il se met à la place de celui qui use de ces subterfuges "logiques" (fallacies) pour avoir le dessus dans une controverse.


4°) Je me souviens très bien du blog dont tu parles. C'était le blog (Big Mac) de Pierre Riché, le correspondant aux U.S du journal Libération. C'était en septembre 2005 et je partage ton sentiment. Cela paraît si loin, si loin... So many things have happened in our lives since...

Pierre Riché a participé à la création d'un site d'information called Rue 89.

You're quite an excellent conversationalist Anijo!

ZapPow a dit…

Voici un article qui pourrait t'intéresser, bien que le rapport avec le sujet ici soit un peu léger :
http://is.gd/csyS6

Flocon a dit…

L'article me fait penser à plusieurs raisons qui expliquent la méfiance voire le refus des masses (large segments as they write) à admettre certaines évidences scientifiques.

- La résistance au changement qui doit nous être innée (comme une forme d'homéostasie).

- Le déni et le refoulement quand les individus s'identifient à leurs propres préjugés, croyances, ignorance...

On retrouve Descartes:

"Le bon sens est la chose la mieux partagée au monde etc."

Quel pourcentage de gens de par le monde qui croient dur comme fer que la terre est plate ou que le soleil tourne autour d'elle?

Sans parler des créationnistes.

Ce qui m'effraie toujours ce sont les gens qui sont par ailleurs normalement intelligents et cultivés et qui arrivent à sortir des énormités dont il est impossible de les faire démordre.

Tu en faisais mention il y a peu d'ailleurs.

Sans doute puis-je être considéré comme tel pour mes positions "anti-natalistes" ou sur le changement climatique.

Cela dit ce sont des points de vue, non pas des refus de données scientifiques.

merbel a dit…

Non, je ne vous considère pas comme quelqu'un qui sortirait des "énormités" quand il défend un point de vue anti-nataliste. Je ne me battrai pas comme une chiffonnière sur cette idée: cela relève d'un choix individuel, me semble-t-il, ou plutôt d'une conviction. Je ne peux donc opposer que la mienne, et elle vaut ni plus ni moins que la vôtre! Je me dis seulement que c'est un peu dommage... pour vous et pour les autres. Parce qu'on peut supposer qu'avec des parents intelligents et curieux du monde,investis ou critiques, on peut avoir des enfants capables de changer un peu la donne, à leur niveau et de vous faire changer, vous aussi.
Ce qui me désole, en ce moment,à vrai dire, ce sont plutôt les adultes défaillants avec leurs gosses. Le copinage avec les enfants, les solutions de facilité, le jeunisme, la sacralisation de l'enfant, font des ravages... Aujourd'hui, c'est plutôt difficile de s'affirmer comme parents, comme je peux le remarquer dans mon métier. C'est cela qui me fait peur ainsi que la perte du rôle de l'école...

Flocon a dit…

Anijo,

Surprinsingly enough I find in your link to logical fallacies mention of Frédérique Bastiat (in Broken Window) who I discovered just a few days ago.

In the Bob Herbert post of June 6th.

It's a small small world indeed...

Flocon a dit…

merbel,

Le temps me fait défaut à présent mais je reprends juste une de vos phrases:

"On peut supposer qu'avec des parents intelligents et curieux du monde, investis et critiques, on peut avoir des enfants capables de changer un peu la donne à leur niveau et de vous faire changer vous aussi".

Il y a beaucoup à dire (on peut supposer, on peut avoir, oui on peut...). En attendant, si vous en avez le temps et le loisir il y a cela dans le New York Times de ce matin.

J'y reviendrai.