vendredi 2 juillet 2010

La pitié dangereuse

Il y a 25 ans bientôt plusieurs journalistes français avaient été pris en otages au Liban par des groupes pro iraniens. Solidarité oblige, toutes les chaînes françaises de télévision, il me semble, avaient à un certain moment incrusté en haut de l’écran des JT le décompte des jours de captivité de leurs confrères.

Quelle bonne idée! Et tellement déterminante dans le processus qui devait finalement aboutir à leur libération après 2 ans d’enfermement.

A l’époque déjà je me faisais la réflexion que s’il y avait une chose à ne pas faire c’était bien celle-là qui consistait à faire monter les enchères au quotidien. Tous les téléspectateurs qui n’en pouvaient mais, étaient impliqués tout à fait inutilement, si ce n’est pour donner aux ravisseurs le sentiment que tout le pays était derrière ses ressortissants et qu’on était prêt à tout pour les récupérer.

Très émus ils étaient les ravisseurs, très compatissants. Ça les a vraiment fait réfléchir sur leur vilaine stratégie…

Auraient-ils pris des otages Nord-coréens ou Kenyans dont le pays ne se serait pas soucié plus que d’une guigne? Certainement pas évidemment, de tels otages n’auraient eu aucune valeur. Mais quand une corporation fait croire à ceux d’en face qu’il s’agit d’une cause nationale, c’est elle-même qui fixe le montant de la rançon. Plus on chauffe à blanc l’opinion publique, plus les prix montent.

20 ans plus tard, ils n’avaient toujours rien compris. En quoi la détention d'Ingrid Betancourt a-t-elle été raccourcie par les affiches apposées sur la façade de l’Hôtel de Ville de Paris, les sites «Libérez Ingrid Betancourt», les pétitions, les marches et appels de toutes sortes? A rien d’autre qu’à faire savoir aux FARC qu’ils possédaient une carte maîtresse et qu’ils seraient bien bêtes de s’en séparer.

A présent ce sont 2 journalistes de France télévision qui sont prisonniers en Afghanistan. Croyez-vous que leurs confrères aient tiré les leçons des précédents ci-dessus cités? Eh bien non, ils continuent (plus discrètement cependant) à manifester leur solidarité via les écrans de télé pour que nul n'en ignore.

Se donner bonne conscience et croire œuvrer efficacement est totalement contre productif dans ce genre d’affaires dont les enjeux et les possibles clefs de résolution dépassent de mille coudées le registre de l’indignation et des émotions.

Laissez faire ceux dont c’est le métier, les politiques et les diplomates –sans compter les intermédiaires- et ne compliquez pas les choses plus qu’elle ne le sont déjà.

(La photo est celle de Stefan Zweig auteur du roman que reprend le titre du billet)

11 commentaires:

ZapPow a dit…

Il paraît que c'est bon pour le moral des otages, qui sont, semble-t-il, tenu au courant par leurs geôliers, si l'on en croit les témoignages de ceux qui ont été libérés.

Flocon a dit…

C'est effectivement ce que dit Florence Aubenas qui est restée quelques mois prisonnière en Irak.

On ne peut que respecter son témoignage sans doute mais on se demande si le contact par voies parallèles avec les otages ne peut être aussi "efficace" pour les aider moralement. Parce qu'au fond l'information dont il dispose relativement au soutien dont il "bénéficie" au pays est entièrement à la discrétion de leurs geôliers.

Et se demander également dans quelle mesure ces manifestations publiques de grande ampleur (la télé tout de même) ne confortent pas les preneurs d'otages dans leurs stratégie au détriment précisément des otages eux-mêmes.

Les autres pays (Japon, USA, GB etc.) dans ces circonstances ont paraît-il une attitude résolument opposée à celle des Français.

Au final c'est le montant du chèque qui résout ces affaires et je ne suis pas sûr que le montant dudit chèque soit sans relation avec la pression que les journalistes ont exercée pendant des mois en amont.

Enfin, solidarité oblige les journalistes font ce qu'ils croient devoir faire et tant pis pour l'otage qui n'est pas journaliste (humanitaire ou autre).

L'article de Wiki est assez instructif sur le peu que l'on sait in fine de ces enlèvements de civils.

Par ailleurs, le métier de journaliste est d'informer le public de ce qu'il ignore (par définition). En quoi sommes-nous plus et mieux informés de ce qui se passait en Irak après l'affaire Aubenas ou le cas des journalistes de France Télévision en Afghanistan?

Faire du terrain c'est bien encore faut-il être un minimum responsable.

J'ai le sentiment d'être un peu moins dans l'obscurité avec un travail d'investigation comme celui que réalisent les journalistes du Canard Enchaîné ou de Médiapart ces temps-ci, sachant bien aussi qu'il y a tout ce qu'on ignorera toujours de l'envers du décor.

Les 2 journalistes américains qui ont dévoilé ce qui devenu le Watergate est autrement plus fructueux que ce qui reste des équipées de nos journalistes je crois.

Woodward et Bernstein se sont attaqué à quelque chose que l'Administration Nixon voulait à tout prix cacher comme le Canard dévoile des infos que les intéressés préfèreraient ne pas voir dévoiler.

Je ne vois pas que le gouvernement français (pour l'Irak) ou l'armée française (pour l'Afghanistan) aient désiré que soient cachées au grand public des infos compromettantes qui les auraient mis en péril eussent-elles été connues.

Je ne suis pas vraiment militaristes (que l'on fiche le camp d'Afghanistan!) mais quand le porte parole de l'armée expose que certains journalistes prennent des risques irresponsables en comptant sur le soutien assuré de la logistique (hommes et matériel) française je ne vois pas comment et pourquoi lui donner tord.

Même situation avec l'italienne Giuliana Sgrena.

Résultat des courses: Son "reportage" n'a informé personne de quoi que ce soit mais a coûté la vie à un officier du renseignement italien. Bien joué!

Les espions sont formés et savent quels sont les risques et les prennent sur ordre de leurs supérieurs mais les journalistes dans certaines circonstances feraient mieux de moins jouer les Bibi Fricotin a mon sens.

Le moral des otages, bon, une fois qu'il faut aller les récupérer... mais je ne suis pas (du verbe suivre) aveuglément le topo des journalistes sur leur devoir d'informer à tout prix, genre le courrier doit passer de Mermoz ou Guilaumet.

Pour en revenir et en finir avec Aubenas elle est autrement plus dans le cœur de son boulot quand elle écrit Le quai de Ouistreham je crois.

Bon, vaste sujet...

Ned Ludd a dit…

Remember all the hullabaloo that accompanied the former hostage in Colombia, Bettancourt, who has since be criticized by former hostages themselves.

But I would rather talk about Stefan Zweig, one of my favorite writers. It is essential to read his autobiography, "The World of Yesterday" or "Le Monde d'hier".

Also read his compatriot, Arthur Schnitzler, among which is "Vienne d'hier". (I am not sure of the exact title).

They give good insight.

Anonyme a dit…

Salut mon cher Flocon. Je reviens des temps un peu difficiles. J'avais perdu une chère amie et j'avais rentré dans une cave de douleur. Mais la vie continue.. And it feels good to emerge from the dark cave into the light of Shall we Talk..

Cela me fait grande plaisir de te trouver toujours avec des billets. Et je vois bien que ZapPaow est toujours là et qu'on a qqn de nouveau qui s'intéresse à tes bons mots. C'est chouette ça. :)

Flocon a dit…

Salut Anijo,

Glad to see you back here.

I've been looking at your blog every now and then just to find spams piling up.

Since the last time you came you had some piece of good news to tell us I wasn't really anxious about your former health problems, although one never knows of course.

Now death has striken and the same pains and griefs come along. I remember you lost your father 3 years ago and it's easy to figure how heavily the burden of another loss weighs on your chest.

There's no trying to escape the suffering alas, we must work it out.

There's a sentence by Harriet B. Stowe which goes (in French since I don't know the original) like this:

les larmes les plus amères que nous versons sur une tombe sont faites des mots que nous n'avons pas dits et des gestes que nous n'avons pas faits.

Now, eventually you can find some solace in your inner world, particularly when one is an artist like you Anijo.

Hope you recover step by step and continue to progress in the practice of your art.

Flocon a dit…

I read Stefan Zweig quite a long time ago (Anfang des Achtziegers), the Chess player, la confusion des sentiments et la pitié dangereuse.

De Snitzler à la même époque j'ai lu La ronde qui est à l'origine du film de Max Ophüls.

Anonyme a dit…

Thank you for your kind words Flocon. You have a talent for knowing just what to say.

merbel a dit…

D'abord vous nous gâtez avec Bach et Schubert et Brigitte Fontaine! Comme c'est agréable et judicieux l'éclectisme musical! ( J'ai juste beaucoup de mal à ouvrir votre page... trop lourd?). Ensuite, le changement de présentation: la couleur sable qui se décline, dans les ombrés et les clairs, c'est bien, vraiment! Chaleureux, doux et clair.

Bach, dont la pianiste Xiao-Mei disait l'autre jour sur je ne sais plus quelle radio (Radio Classique,je crois) que Bach était sa providence, sa chance. Tous les matins, elle joue d'abord Bach . Dans son livre La Rivière et son secret, dont le sous-titre est "des camps de Mao à Jean-Sébatien Bach", elle écrit a propos des Variations Goldberg:
"Mais ce que je sais, c'est que j'ai fait la rencontre de ma vie. les Variations Goldberg remplissent désormais toute mon existence. Il y a tout dans cette musique, elle suffit à vivre" et plus loin " la quête du tempo qui permet tout à la fois de respirer, d'entendre toutes les beautés de la partition et de laisser la pensée se développer de manière naturelle. Il n'y pas d'ailleurs qu'en musique qu'il faut rechercher son tempo: il est aussi essentiel de le trouver dans sa vie. La quête du sens et la vérité du texte. La disparition derrière la musique, comme si la lecture de Lao-tseu et Tchouang-tseu avait fini par me convaincre que les meilleurs pianistes comme les meilleurs souverains étaient ceux qui n'existaient pas et que tel était le but à atteindre". On pourrait méditer des heures...

J'ai entendu une chronique radiophonique qui développait les mêmes arguments que votre note sur le "marchandage" des otages: au début de cette chronique radiophonique, j'ai d'abord tiqué me disant, avec mon vieux passé de militante, que, sans "tapage", sans alerte, on est très impuissant. Par exemple en octobre 2005, après deux mois de tapage sur le net et l'envoi de pétitions aux ambassadeurs et ministères concernés, la communauté internaute à laquelle j'appartenais, avait réussi non seulement à alerter l'opinion publique avec un article publié en une du Monde mais aussi à faire pression sur le gouvernement finlandais pour qu'il enlève de la bannière de son école de guerre aérienne la svatiska qu'il avait discrètement réintroduite, sans que la diplomatie européenne ne s'en préoccupe. Il n'y avait aucun otage en jeu, il est vrai.

Ce mati_là, au fil de la chronique, j'ai fini par être d'accord avec ce que disait le journaliste: on fait monter les enchères... J'ajoute à vos propos le fait que si l'opinion est "mobilisée" autour d'otages, elle n'a pas nécessairement une conscience aiguë des enjeux politiques nationaux et internationaux que cache le "marronnier" des otages. Et qu'une fois les otages libérés, peu de journalistes s'attaquent, par des travaux d'investigation rigoureux (et pédagogiques), qui ne nécessitent pas nécessairement une présence sur le terrain, à expliquer les tenants et aboutissants de ces affaires et des crises de ces pays.
Les journalistes qui vont sur le terrain ne livrent en général que des images chocs qui frappent l'opinion mais se gardent bien d'expliquer vraiment les tenants et les aboutissants de situations paroxystiques ou... historiques. Le métier de journaliste n'est plus ce qu'il était et il est inutile de geindre sur la dégringolade du lectorat: tout le monde peut s'improviser journaliste, au regard de la disparition de certaines exigences qui se pratiquaient dans le métier (mais ceci est une autre histoire...)

Oui, veillons à notre tendance compassionnelle, à cette confusion des émotions qui voilent et perturbent l'analyse certes froide mais , je le pense vraiment, seule garante d'un discernement constructeur et fécond... (je reste toujours résolument optimiste!)

Je viens de voir que vous venez de publier une autre note! quel rythme! Rires...

Flocon a dit…

Merbel,

Pour ce qui concerne la lourdeur de la page je crois que cela est dû aux illustrations et non aux liens musicaux.

Cela a-t-il toujours été le cas?
Je n'ai pas un vrai haut débit mais la page s'ouvre en quelques secondes.

Pour le changement de page j'ai juste voulu essayer une des fonctions de Blogger mais une fois que je me suis lancé pas possible de revenir en arrière semble-t-il.

J'aimais bien l'ancienne présentation, raison pour laquelle je l'avais choisie. Cela dit on ne maîtrise pas tout dans la présentation des blogs quoiqu'il y paraisse.

"les meilleurs pianistes comme les meilleurs souverains étaient ceux qui n'existaient pas et que tel était le but à atteindre"

C'est effectivement un condensé du taoïsme que cela. Encore qu'il n'y ait exactement pas de but à atteindre dans le taoïsme mais une voie à trouver.

Tout à fait d'accord à propos de l'après libération des otages. En focalisant toute l'attention sur des personnes on (les media) participe objectivement à la non information c'est à dire à la désinformation du grand public sur le contexte infiniment plus vaste qui devrait être le véritable objet d'exposition du travail des journalistes.

Cela revient à s'intéresser au soldat Ryan en ne sachant à peu près rien sur le comment et le pourquoi il se trouvait là où il était.

Ned Ludd a dit…

The Arthur Schnitzler book I wanted to mention is "Vienne au crépescule".

Another must read.

Flocon a dit…

Thanks Ned,I'll have a start with this then..