dimanche 22 août 2010

Le parano










Il fait partie de ceux qui se sont une fois pour toutes, il y a très longtemps, persuadés de leur condition de victimes. Victimes des autres, de la famille, des circonstances, ce qui justifie à leurs yeux, pour toujours et en toutes circonstances une attitude qui les autorise à avoir recours à tous moyens pour parvenir à leur fin qui ne sera jamais perçue par eux que comme normales et légitimes compensation et réparation de tout de ce qui leur paraîtra leur avoir été dénié jusqu’alors, en quelque domaine que ce soit.

La dialectique est bien connue et vieille comme le monde des victimes imaginaires qui se transforment en vrais bourreaux et s’autolégitiment tous les débordements à l’encontre des autres, fût-ce en violation des lois, des coutumes ou de la simple morale. Ils ont disqualifié la réalité, tenue pour telle par tout le monde, pour y substituer leur vision des choses, leur réalité; ce qui leur permet également de fixer eux-mêmes les limites de ce qu’ils s’autorisent pour se «défendre» ou se voir attribuer ce qu’ils estiment leur revenir «de droit».
Limites extensibles à l’infini, selon les besoins ou leurs humeurs du moment; ce qui s’appelle «refaire la loi». Car ils ne se contentent pas de prendre leurs désirs pour la réalité. Conséquents, ils agissent «comme si». Les autres ne sont que des obstacles à la réalisation de leurs désirs, de leurs besoins, et comme tels, tous les moyens leur sont bons pour passer outre et, de gré ou de force, essayer en permanence de leur imposer leur volonté, leurs caprices, leurs pulsions. Ils s’exonèrent à l’avance. Infantile et archaïque mécanisme mental où la morale (sauf la leur) n’a aucune place, la décence aucune existence – sauf celle dont ils définissent les conditions. Quant aux scrupules…

Rien ne les empêchera d’ainsi raisonner. Intimement –et sincèrement– persuadés de la parfaite légitimité de leurs revendications, ils sont structurellement incapables de prendre en considération d’autres arguments que ceux qu’ils se sont attribués. Ils décident du bien et du mal uniquement en fonction de ce qui entre ou pas en conflit avec leurs a priori, de ce qui s’oppose ou pas, à la réalisation de leurs revendications.

Pour les paranoïaques, les relations humaines sont binaires: amis ou ennemis, avec moi ou contre moi, binômes exclusifs de tout autres possibilités de rapports avec autrui. Contester la réalité de cette dichotomie, objecter qu'il y a d'autres alternatives que celles qu'ils fondent sur des notions de conflit, d'affrontement ou d'antagonisme c'est déjà s'opposer à eux, c'est donc les contrarier, c'est donc bien la preuve qu'ils ont raison d'ainsi appréhender la réalité :  on est déjà leur ennemi, et c'est irréversible.

Tout le monde devient ennemi car tout le monde est destiné à l'être. Il y a deux tiroirs : celui des amis, celui des ennemis. Le second s'emplit toute leur vie quand le premier reste désespérément vide. N'y séjournent - provisoirement - que ceux pour lesquels n'a pas encore été trouvé le prétexte à les faire passer dans le tiroir des ennemis. Mais c'est inéluctable, leur place leur y est déjà assignée.



Radicale impossibilité du dialogue avec celui qui, inconsciemment, se réclame toujours, qui toujours a recours à une pseudo injustice dont il aurait été victime pour justifier tout ce qu’il sera amené à mettre en œuvre pour prendre sa revanche. Car c’est bien de cela aussi qu’il s’agit : Le ressentiment est son moteur comme l’envie est son essence. Aux phases d’euphorie déréalisantes propres aux mythomanes succèdent de véritables périodes d’élation, quand, provisoirement, rien ne semble plus pouvoir venir en travers de l’accomplissement de leurs délires revendicatifs.

Disqualification massive du réel au profit d’une reconstitution fantasmatique selon les besoins de celui qui s’y livre. Cette disqualification entraîne inéluctablement un désinvestissement radical de la réalité en chair et en os des proches avec investissement dans des figures imaginaires, symboliques ou recomposées à façon.

Difficile, voire impossible, quand on ne connaît pas ce processus – quand on en ignore même jusqu’à la possibilité – de concilier le discours que tient le paranoïaque et ce qu’il donne à vivre avec la réalité de son agir avec ses proches.

Accepter de s'engager dans un (pseudo) dialogue avec le paranoïaque c'est très exactement alimenter sa névrose, l'exacerber. Cet "échange" ne peut qu'être antagoniste puisque c'est une réalité contre une autre, la mienne contre la sienne. Toute argumentation contraire à la sienne est nécessairement conflictuelle et, à ses yeux, l'illustration même de ce qui fonde sa position défensive/agressive.

Le paranoïaque est ainsi essentiellement constitué qu'il intègre tout ce qui lui est présenté pour le remodeler, le déformer et le retourner contre son interlocuteur. L'économie de la paranoïa consiste à réinjecter dans le circuit tout ce qui se laisse appréhender par assimilation, contiguïté, proximité, similarité forcée etc. C'est une machine à produire de l'irrationnel à partir d'un donné quelconque qui servira de fondement à une élaboration délirante. Première et seule chose à faire : Ne jamais entrer dans cette dynamique perverse qui constitue in fine la jouissance du parano. Sa jouissance au détriment de l'Autre (le grand Autre lacanien...) 

Certes le paranoïaque est malheureux comme la pierre et il trouve là confirmation sans cesse renouvelée de sa vision des choses: il en devient plus malheureux encore, à juste titre. Et ainsi de suite, irrésistible spirale. Mais cet enchaînement infernal nul autre que lui ne l’a mis en place, quoi qu’à son corps défendant. Et quoi que fassent ou ne fassent pas les autres, quoi qu’ils disent ou ne disent pas, tout sera toujours interprété dans un sens unilatéral, négatif et destructeur.


4 commentaires:

ZapPow a dit…

Joli portrait , une fois de plus.

Tiens, un article qui illustre un peu ton propos, et qui donne à penser que la paranoïa se répand, et qu'elle nous atteint tous, à des degrés divers :
http://www.boston.com/bostonglobe/ideas/articles/2010/07/11/how_facts_backfire/

ZapPow a dit…

Bon, l'URL du message précédent fonctionne, bien qu'elle soit tronquée. pour éviter toute difficulté, prière de cliquer ici.

Flocon a dit…

Désolé pour le retard mis à te répondre.

Il est très intéressant le lien que tu indiques sur le Boston Globe.

Épistémologie, psychologie comportementale et appliquée à la politique.

De la croyance et du savoir. Vieux problème philosophique. Est-on plus avancé qu'il y a 2.500 ans?

A part le petit pourcentage de personnes éduquées (et encore, comme l'indique l'article, celles-ci ne sont pas totalement immunes des réactions défensives mentionnées) il y a la colossale masse des humains qui en resteront toujours aux préjugés, croyances, superstitions etc.

Et cette masse s'étend au rythme de l'accroissement de la population mondiale...

Politiques et religieux ont tout l'avenir devant eux.

C'est le thème de L'avenir d'une illusion de Freud.

Tout cela n'est guère optimiste mais n'a rien qui me surprenne comme bien tu imagines.

"la paranoïa se répand, et qu'elle nous atteint tous, à des degrés divers"

Certes la paranoïa se répand parmi la population qui ne cesse de croître puisque c'est comme une pathologie qui a sa propre dynamique (comme une pandémie).

De plus elle a toujours affecté tous les États (des US à la Corée du nord) qui eux sont beaucoup plus récents que les petits groupes d'individus.

En chacun de nous réside cette faculté défensive qui peut devenir de plus en plus active selon les circonstances.

Ned Ludd a dit…

ZapPow, Bill Maher in one of his "New Rules" described it very simply, calling them "the faith over facts crowd".