jeudi 24 juin 2010

Penser librement?

Il n'y a que 2 voies pour essayer d'approcher l'inaccessible: la Foi qui vise à la fusion avec l'absolu transcendant (le Dieu des théistes) sans prétention à sa connaissance et la Raison qui tente de déterminer ce qu'est la chose en soi, de la connaître et de la comprendre. C'est l'opposition  kantienne phénomènes/chose en soi.
Laissons de côté la première (la foi) puisqu'il s'agit de Révélation qui n'a pas besoin de langage et voyons ce qu'il en est de la raison qui suppose nécessairement le verbe, la parole, le langage.
Problème : sommes-nous vis-à-vis de notre langue, cet incomparable outil qui nous a permis d'accéder à l'humanité, dans une position telle que l'on puisse revendiquer le libre usage de cet outil?
Le petit de l’homme n’arrive pas sur terre entièrement démuni et sans prédisposition aucune ni sans de nombreuses prédéterminations. Il porte déjà avec lui un incommensurable bagage, ne serait-ce que la possibilité d’utiliser un cerveau qui est "programmé"depuis des millénaires pour fonctionner d’une certaine façon et pas d’une autre.
De la même façon qu’il arrive avec un héritage pluri millénaire, l’attend un langage et pas un autre, celui qui sera sa langue maternelle et qui de nouveau lui imposera des contraintes grammaticales, lexicales, morphologiques, phoniques etc. Ces lois du langage orienteront inévitablement sa pensée et sa capacité de raisonnement et d’interprétation. Ainsi en français, sujets, verbes, compléments, adverbes, adjectifs, conjonctions n’ont pas la même place qu’en allemand par exemple sans même évoquer les langues orientales. Quant à la nature des mots comme signaux sonores (avant d’être écrits) descriptifs de ce que l’homme perçoit, on pressent les mille et unes difficultés et pièges dont ils sont porteurs. C’est toute la philosophie du langage qui s’annonce ici.
Les règles formelles de la langue sont les mêmes pour tous les locuteurs d’une langue donnée et encore, combien s’en affranchissent peu ou prou ? Mais les mots qui sont comme des objets qu’ordonnent (aussi bien au sens d’un commandement que d’un placement) les langues ont-ils le même sens pour tout le monde ?
Disposons-nous par ailleurs de suffisamment d’objets pour exprimer notre pensée et pénétrer plus avant notre connaissance du monde ? Certes pas, chacun doit bien le sentir. Particulièrement en français par rapport à l‘anglais dont le vocabulaire est, je crois, triple du nôtre.
Il existe paraît-il 40.000 idéogrammes en chinois dont moins de 5%  environ sont d’usage courant. 400.000 mots en anglais ai-je lu quelque part pour moins du tiers en français. Comment peut-on appréhender, approcher le monde quand il y a une telle diversité de ressources d’une langue à l‘autre ?
Le concept de Dieu est par exemple incompréhensible aux orientaux qui ne disposent pas de mot pour transcrire ce concept judéo-chrétien.
On peut emprunter d’une langue à l’autre quelques mots, très peu à la vérité, ou faire appel au grec (pour les Européens). Hapax, Hybris, Oxymoron etc. ces termes sont indispensables au fond, il comble un vide mais de combien d’autres mots aurions-nous besoin pour mieux dire et penser le réel ou du moins ce qui nous paraît tel ?
Dans toutes les langues (peut-être) il y a des milliers de mots qui n'ont pas d'équivalents  dans d'autres langues quand il faut se contenter de ce que nous propose notre langue maternelle, au prix de "contorsions" ou d'incertaines constructions. Comme quoi la pensée est bien mal outillée pour appréhender le monde.
Et entre les deux sexes, les mots ne comportent-t-ils pas des résonances affectives, émotionnelles, culturelles différentes qui déterminent à leur tour un usage et une compréhension différents entre hommes et femmes ?
Le rationnel peut difficilement se construire et se dire alors représentons-nous ce qu'il en est de l'affectif. Mission impossible! Sans parler de la composante psychologique des locuteurs ou de leurs origines culturelles.
Observons qu’au moment même où l’on commence une phrase, nous sommes inéluctablement conduits et contraints à la construire d’une certaine façon et pas d’une autre et que cette phrase sera structurellement achevée avant même que le locuteur ait terminé de l’énoncer. D’une certaine façon notre langue nous devance et anticipe notre propre discours.
Notre pensée dépendant de notre langage doit donc se régler selon les formes normatives de notre langue, langue que bien évidemment nous n’avons pas choisie. En sommes-nous donc véritablement maîtres ?
Encore une illusion qui nous fait croire que nous sommes libres de parler et de dire ce que nous voulons. Chacun le sent bien qu’il y a un inexprimable, ne serait-ce parfois qu’au niveau de l’émotion et des passions. Alors que dire de l’impossibilité à exprimer et communiquer ce qui est au-delà des mots, au-delà de toute expérience possible?
Les mystiques connaissent cette in-expérience de ce qui est indicible, ce qui est au-delà de l’empirique et relève de l’intuition pure parce que supra sensible. Peut-être la Révélation mystique permet-elle à ceux que touche la grâce de ressentir une sensation fusionnelle avec ce qu'ils appellent l'absolu mais ils n'en connaissent ni n'en comprennent rien et ne le désirent d'ailleurs pas.
Sommes-nous capables de mieux approcher l'essence du monde avec notre raison et nos langages? Je le crois malgré tout, sachant bien que les limitations que nos langues respectives nous imposent sont autant d'entraves à notre démarche. Du moins cherchons–nous à comprendre, ne connaissant que trop bien l'histoire de nos échec répétés.
Pour Kant l'en soi des choses était comme un x inconnu et à jamais inconnaissable mais que Schopenhauer appelle Volonté, tout aussi inconnaissable en son essence mais du moins compréhensible.
Pour revenir à notre question première (Pensons-nous librement?) il me paraît hors de doute que nous ne pensons certainement pas librement mais que nous sommes au contraire condamnés à notre finitude. Aussi bien par les limites de nos capacités mentales que par notre condition asservie au regard de notre langue.
Il faut faire avec ou se tourner vers la contemplation esthétique, particulièrement la musique ou la poésie, mais ne sont-ce pas alors d'autres figures de la Révélation?
Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. 
(Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen.)
 Wittgenstein
(Tractatus logico-philosophus, proposition 7)
Le langage est la maison de l'Être
Heidegger
(Lettre sur l'humanisme)
                      
Nous vivons dans l'inconcevable mais les repères sont éblouissants
René Char

1 commentaire:

Flocon a dit…

Firefox a sorti une nouvelle version (3.6) supposée empêcher les fréquents plantages qui l'affectaient.

Je peux en témoigner, c'était quasi quotidien.

Mise à jour reçue et téléchargée ce matin: c'est pire que tout.

Vidéos, liens musicaux (Deezer et YouTube) illisibles, voire même des photos!

J'espère que cela ne vous affectera pas si vous êtes sur Safari mais pour Internet explorer ou FireFox je crois que ça va être galère.

Je veux croire qu'ils s'en sont déjà aperçus et préparent une nouvelle version corrigée et fiable.

En attendant, désolé, mais it's beyond my control...