mercredi 14 novembre 2007

La grande gueule (2) (Portrait 3)



De lui-même, rien, rien, rien, il est en attente de la parole de l’autre pour y répondre. Tout son système est étayé, solidifié, calcifié. Dans son besoin pathologique de reconnaissance, il en est réduit à solliciter artificiellement le discours de l’autre pour s’offrir la jouissance de le contredire en permanence et que ne subsiste que son discours, donc son être. A chaque fois que je « décroche », comprenant bien que toute discussion est vaine puisqu’il a pathologiquement besoin d’avoir raison, je lui laisse le champs libre pour satisfaire son besoin névrotique de valorisation de son ego… Mais il est illusoire de s’imaginer qu’un autre sujet permettra un « échange » plus équilibré: quel que soit le thème, on retombe d’emblée dans le même processus où il s’agit pour lui de ratatiner l’interlocuteur en aplatissant, déconsidérant son discours de telle sorte qu’il soit amené à se taire, à s’écraser pour qu’enfin ne subsiste plus et ne reste sur le champs de bataille que son discours, son ego qui aura contraint celui de l’autre à la déroute (croit-il, le pauvre crétin).

C’est un refus frontal, massif du discours de l’autre. Pas de précaution, pas de gants: «Tu as tort, j’ai raison et je le prouve». A chaque rencontre on aboutit, bien contre son gré, en 2 réponses et 3 répliques, c’est-à-dire en moins de 10 secondes, en un combat imbécile avec un imbécile où il s’agit de savoir qui aura le dernier mot ce qui – pour lui – revient à avoir raison. Tel un roquet qui ne lâcherait pas le pantalon du passant, fût-ce l’assemblée générale des prix Nobel ou Dieu lui-même, il ne démordra pas de ses affirmations les plus douteuses, les plus insanes et les plus invérifiables. Et quand il arrive qu’il lui soit prouvé de manière absolument irréfutable, incontestable, qu’il s’est planté et qu’il a bel et bien pratiqué la politique de la grande gueule qui vise à faire taire les autres, il admet tout uniment qu’«ah! bon, d’accord, je croyais que…» mais il n’y a pas de quoi se fâcher, oubliant dans l’instant la surexcitation dans lequel il se trouvait la seconde précédente quand il soutenait n’importe quelle élucubration, oubliant l’identité et la responsabilité de celui qui n’a de cesse de mettre en œuvre une stratégie de la tension.

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