Je vous propose une série de "portraits" (3) qui devraient vous être familiers puisque nous avons tous eu l'occasion, à un moment ou un autre de notre vie, de côtoyer tel ou tel individu chez lequel on retrouve les caractéristiques que j'ai tenté de mettre au jour. On subit, jusqu'au jour où on comprend à qui l'on a affaire et l'on s'échappe dare-dare (pas toujours facile d'ailleurs)
Il fait partie de ceux qui se sont une fois pour toutes, il y a très longtemps, persuadés de leur condition de victimes. Victimes des autres, de la famille, des circonstances, ce qui justifie à leurs yeux, pour toujours et en toutes circonstances une attitude qui les autorise à avoir recours à tous moyens pour parvenir à leur fin qui ne sera jamais perçue par eux que comme normales et légitimes compensation et réparation de tout de ce qui leur paraîtra leur avoir été dénié jusqu’alors, en quelque domaine que ce soit.
La dialectique est bien connue et vieille comme le monde des victimes imaginaires qui se transforment en vrais bourreaux et s’autolégitiment tous les débordements à l’encontre des autres, fût-ce en violation des lois, des coutumes ou de la simple morale. Ils ont disqualifié la réalité, tenue pour telle par tout le monde, pour y substituer leur vision des choses, leur réalité; ce qui leur permet également de fixer eux-mêmes les limites de ce qu’ils s’autorisent pour se «défendre» ou se voir attribuer ce qu’ils estiment leur revenir «de droit».
Limites extensibles à l’infini, selon les besoins ou leurs humeurs du moment; ce qui s’appelle «refaire la loi». Car ils ne se contentent pas de prendre leurs désirs pour la réalité. Conséquents, ils agissent «comme si». Les autres ne sont que des obstacles à la réalisation de leurs désirs, de leurs besoins, et comme tels, tous les moyens leur sont bons pour passer outre et, de gré ou de force, essayer en permanence de leur imposer leur volonté, leurs caprices, leurs pulsions. Ils s’exonèrent à l’avance. Infantile et archaïque mécanisme mental où la morale (sauf la leur) n’a aucune place, la décence aucune existence – sauf celle dont ils définissent les conditions. Quant aux scrupules…
Rien ne les empêchera d’ainsi raisonner. Intimement –et sincèrement– persuadés de la parfaite légitimité de leurs revendications, ils sont structurellement incapables de prendre en considération d’autres arguments que ceux qu’ils se sont attribués. Ils décident du bien et du mal uniquement en fonction de ce qui entre ou pas en conflit avec leurs a priori, de ce qui s’oppose ou pas, à la réalisation de leurs revendications.
Pour les paranoïaques, les relations humaines sont binaires: amis ou ennemis, avec moi ou contre moi, binômes exclusifs de tout autres possibilités de rapports avec autrui. Contester la réalité de cette dichotomie, objecter qu'il y a d'autres alternatives que celles qu'ils fondent sur des notions de conflit, d'affrontement ou d'antagonisme c'est déjà s'opposer à eux, c'est donc les contrarier, c'est donc bien la preuve qu'ils ont raison d'ainsi appréhender la réalité: on est déjà leur ennemi, et c'est irréversible. Tout le monde devient ennemi car tout le monde est destiné à l'être. Il y a deux tiroirs: celui des amis, celui des ennemis. Le second s'emplit toute leur vie quand le premier reste désespérément vide. N'y séjournent - provisoirement - que ceux pour lesquels n'a pas encore été trouvé le prétexte à les faire passer dans le tiroir des ennemis. Mais c'est inéluctable, leur place leur y est déjà assignée.
(à suivre)
4 commentaires:
Décidément, le binaire se porte bien, ces temps-ci. A ce propos, trouvant le procédé simple, je me suis permis de redonner aux clichés (placés par tes soins dans le cas=0) du sujet précédent un peu d'une utilité qu'on leur refuse.
Je ne vais donc pas faillir ici non plus à faire l'avocat du diable et en l'instance du parano. Il faut reconnaître que ce n'est pas très facile, et je ne trouve pas les paranos très sympathiques non plus. Pathétiques, sans doute, pathologiques, sûrement. Mais certains écorchés vifs font de bons paranos et parfois des poètes ou des J.J. Rousseau (on aime ou pas). Sans paranoïaques, le polar perdrait beaucoup de son intérêt. Et nous-mêmes : ne nous est-il jamais arrivé de penser que ce sont les autres qui vont mal et que nous sommes leur victime ? Cela dépend de si peu : travail mal payé, chagrin d'amour, brutalité subie, etc.
Au fait (question piège), si on lit dans la colonne de droite les titres des sujets proposés, pourquoi cette galerie de personnages ou d'attitudes ou de concepts a priori "repoussoirs" ? S'agirait-il de démystifier des complots ?
Etchdi
Questionner la validité d'un cliché, ne serait-ce pas plutôt essayer d'estimer sa distance avec le réel qu'il est supposé réprésenter en raccourci? S'il existe, il a bien une fonction et une utilité. Mais attention aux abus... ;-)
"Et nous-mêmes: ne nous est-il jamais arrivé de penser que ce sont les autres qui vont mal et que nous sommes leur victime?"
Absolument bien sûr, la paranoïa est une mode de défense universel, potentiellement disponible en cas de menace ou danger perçus (réel ou pas). C'est la chose la mieux partagée du monde. Moi-même qui te parle... ;-)
Ce que j'ai essayé de faire, c'est de décrire une typologie qui n'est plus sympa ou acceptable quand elle s'est métastasée au point d'être devenue système.
Connaître des accès de comportement d'ordre parano, c'est à la limite sain, mais ne plus vivre que selon ce système exclusif et autodestructeur, c'est cela que j'ai voulu exposer.
Tu l'as bien deviné, il y a du vécu dans ces billets. Quand on a eu l'occasion pendant des années de se faire instrumentaliser par l'Autre sans comprendre quels étaient les forces en jeu, la dynamique agissante, sans comprendre pourquoi il ne semblait pas possible de s'en tenir à la rationalité commune, du jour où l'on finit par écarter les rideaux qui masquaient la scène, eh bien on se sent sacrément soulagé.
Heureux celui qui n'a jamais connu le plaisir d'être intégré dans la mise en scène et le scénario du parano.
Rousseau... C'est bien venu de l'évoquer, il se trouve que j'ai lu ses Confessions il n'y a pas plus de 6 mois. Eh ben il était sacrément gratiné le Jean-Jacques! Et il fallait bien de l'abnégation à ses plus proches pour le supporter. La seule façon de le supporter d'ailleurs, c'était de s'en tenir à distance. Mais il avait tout de même, le Contrat Social, l'Emile et quelques autres à son crédit...
"Pourquoi cette galerie de personnages ou d'attitudes ou de concepts a priori "repoussoirs" ? S'agirait-il de démystifier des complots?"
Non, non, je n'en suis pas au stade où je vois et veux dénoncer des "complots"...
Plus simplement, ce sont des rencontres que tout un chacun a pu faire (l'obsesso, le parano, le mytho, le pauvre type) et dont j'ai plaisir (jouissance libératrice?) à démonter les mécanismes. Je ne parle pas de déconstruction, ce serait prétentieux... ;-)
C'est vrai qu'il n'était pas con notre Jean-Jacques : "Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire 'Ceci est à moi' fut le fondateur de la société civile. Que de crimes et de guerres eût évité celui qui, s'interposant, eût crié 'Gardez vous d'écouter cet imposteur ! Vous êtes perdus si vous oubliez que la terre est à tous et que ce champ n'est à personne'..." (je ne suis pas sûr du verbatim mais c'est beau quand même).
Voilà qui vaut bien une lettre de Guy Môcquet pour les enfants des écoles. Lagarde et Michard lui préféraient ostensiblement l'élégant Voltaire. Une sorte d'affrontement de deux visions du monde, un duel Mac/PC avant l'heure. Non, je déconne, ça volait plus haut.
Autre parano célèbre, Marguerite Duras, qui a hérité de la spoliation de sa mère pour en faire le "Barrage contre le Pacifique". La liste serait plus longue qu'on ne croit, mais j'ai la grippe, j'ai passé le week-end au lit et j'y retourne.
Etchdi
"Une sorte d'affrontement de deux visions du monde, un duel Mac/PC avant l'heure."
Il y avait aussi les Mods et les Rockers, les Beatles et les Stones, les bons et les méchants... Tu vois bien qu'on n'en sort pas du binaire... ;-)
Pour M.Duras je ne savais pas. J'ai lu le "Barrage contre le Pacifique" il y a 5 ans mais, ignorant du contexte familial que tu évoques, je n'ai pas lu ce qui pouvait s'y lire.
Il en est de même de G.Pérec; si on n'est pas au parfum on n'y comprend rien. La vie, mode d'emploi! Ca c'est de la balle!!!
Et que dire de Raymond Roussel? je ne sais pas si j'aurai jamais le courage de m'y "attaquer".
Mauvais, très mauvais la grippe. je m'en suis chopé une il y a 35 ans (oui, oui, je m'en souviens encore) et je suis resté au lit pratiquement inconscient pendant une semaine. Je n'ai pas vu le temps passer. Elle était corsée de chez corsée celle-là!
Je te souhaite sincèrement d'avoir passé le plus dur et que la nouvelle semaine t'en verra soulagé. Dès demain...
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