mardi 7 septembre 2010

Le pervers (Portraits VII)












Le pervers est du genre à vous asséner des affirmations gratuites qui entraînent i-né-luc-ta-ble-ment sur le terrain du délirant et fait de vous, si vous n’y prenez garde, une marionnette dans le théâtre de ses élucubrations. On se retrouve emmêlé dans d’invraisemblables contorsions argumentatives qui sont comme autant de sables mouvants : Plus on essaye de s’en sortir par le haut plus en fait on est aspiré vers le bas. Chaque réponse, aussi bien argumentée et fondée qu’elle soit, ne fait qu’alimenter le processus névrotique. 

S’engager dans une discussion avec un pervers c’est se perdre et participer à sa propre perdition comme on est complice de la jouissance dudit pervers. Car c’en est une, qui consiste à jubiler (plus ou moins inconsciemment) au spectacle des vains efforts de l’interlocuteur pour s’extraire du piège qui lui a été tendu et au centre duquel il essaye en vain de ramener un peu de raison. 

S’engager dans une discussion avec un pervers c’est s’engager à son insu dans une relation malsaine qui ne connaîtra jamais de fin autre que celle qu’on aura l’autorité de lui imposer. De lui-même le pervers aura toujours plus de ressources que son interlocuteur pour relancer et entretenir sa jouissance : C’est sa raison d’être et sa raison d’ainsi de comporter avec l’Autre.

Car il faut bien se garder de croire que le pervers est désireux d’échanger des idées avec l’autre, qu’il est là pour débattre avec d’autres convives. Sa visée est de se servir de son interlocuteur pour accéder à la jouissance primaire en instrumentalisant l’Autre, sans que celui-ci ne s’en rende compte bien entendu. 

Le sadisme est l'essence même du pervers ne serait-ce aussi que parce qu’il abuse en toute connaissance de cause de la naturelle honnêteté intellectuelle a priori et du désir de converser sans arrières pensées de son interlocuteur. Une araignée se contente d’attirer sa proie dans sa toile puis de la capturer, de la tuer et de la stocker. Le pervers se garde bien de ça, où serait son plaisir? 

Rompre le dialogue c’est le confronter à la frustration suprême : l’Autre lui échappe, celui-là même qui est détenteur des conditions de sa jouissance. Il se retrouve alors seul face à son impuissance. Mais lui imposer l’autorité du refus c’est lui donner l’occasion de sortir son joker le plus récurrent : Le refus de débattre de l’autre, sa malhonnêteté intellectuelle qui “prouve” bien qu’il a raison et que l’autre ne veut pas reconnaître la réalité, qu’il est dans le déni etc. 

Fondée sur une tentative toujours sous-jacente de culpabilisation, c’est à une inversion des rôles que tente de se livrer le pervers, non sans succès d’ailleurs car il est très difficile de gérer la culpabilisation quand on n’y est pas préparé. Cette culpabilisation, c’est aussi et encore une autre voie d’accès à la jouissance pour le pervers.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

the spider people who capture others in their web of deceptive complexity...

Flocon, your talent for describing that which most of us feel..

Anonyme a dit…

so what.. Miles and Coltrane.. exquisite..

Thank you Flocon.

To truly taste the height of beauty of this genre, look to the Bitches Brew Sessions which is one delightful collection of the creme de la creme of musicians at the time including Miles Davis, of course, John Laughlin, Herbie Hancock, Billy Cobham, Chick Corea, and Joe Zawinul.

Anonyme a dit…

John Laughlin...

Correction.. John McLaughlin of course..

Flocon a dit…

Thanks for your kind words of praise Anijo.

Actually, these "portraits" I wrote several years ago, 10 or even 15 years ago, I don't remember.


"that which most of us feel..."

You certainly have had to deal with this sort of situations where you must endure the vicinity of such people.

For one reason or another (family, long acquaintance etc.) the break up is very difficult to achieve until one day too much is too much and you realize you've been fooled around for years.

There are people who bring you down during a certain period of your life and you're unable to clearly understand what's wrong with them since you may also enjoy some not so unpleasant moments with them.

Every cloud has its silver lining...

And yet, every other time you meet them they make you feel small and miserable. And someday the veil is lifted and you realize youve been instrumentalized and you react accordingly.

All the more when you fully understand these people don't care a shit about you, they've just been acting upon you for years.

It may have happened to you like it did happen to me: One of these people to whom I wasn't directly connected but still, I saw at random in the street and asked myself: Why have we stopped seeing each other?

We engaged in a casual conversation and within less than one minute I remembered why I stopped seeing him (or her) years ago. Arg! Why the f. did I adress him (her) again?

I had some kind of nostalgia for a period when that person was part of the setting but it definitively was not that person I missed but part of my own past.

Flocon a dit…

Pour ce qui concerne les musiques, il est très facile de changer la piste YouTube chaque jour, il faut juste ajuster la taille de la fenêtre dans le code HTML.

Pour Eroll Garner ou les autres (Deezer) il faut composer une liste à partir de titres que je ne connais pas le plus souvent. Donc je fais une liste un peu au hasard et je découvre qu'il y a des titres que je n'aime pas ou dont la qualité n'est pas bonne (vieux enregistrements).

Mais comme il y a à peu près 1/2 heure voire une heure d'enregistrement ce n'est pas la peine de changer tous les jours.

Pour la première piste (Ravel) c'est un peu plus long. Il faut télécharger un titre from youTube ou Dailymotion puis le mettre sur un site qui donne le code HTLM et l'introduire sur le blog. No need to change every day either...

Ce matin j'avais envie de mettre la pusique from the Draughtmans' contract. I'll look up for the Brew Session tomorrow...

Ned Ludd a dit…

"S’engager dans une discussion avec un pervers c’est s’engager à son insu dans une relation malsaine qui ne connaîtra jamais de fin autre que celle qu’on aura l’autorité de lui imposer."

Il y a des probèmes. La définition de "pervers" n'est pas clair. Est-que seulement sexual ou est-qu'on ajoute toute sorte de "anti-social"?

Un trader à la bourse, est-il un pervers? Un example parmi plusieurs.

Les policiers qui utilisent les tasers pour tout et n'import quoi?

Est-que Julien dans "Le Rouge et le noir" est un pervers?

Je peux continuer, mais j'attends tes reflections.

Flocon a dit…

Tu poses une question pertinente Ned.

J'ai écrit pervers au sens où on le comprend le plus couramment c'est à dire :

"Qui est enclin à faire le mal, se plaît à faire le mal" (Robert)

J'avais aussi l'étymologie en tête : Mettre sens dessus dessous. (*)

"La définition de "pervers" n'est pas clair. Est-que seulement sexual ou est-qu'on ajoute toute sorte de "anti-social"?

La perversion n'est pas essentiellement d'ordre sexuel, je n'avais pas cela en tête. Maybe is the word pervert more sexually related in English?

J'ai fait mention du sadisme dans le billet parce que cela renvoie au stade anal où l'enfant joue et jouit avec ses fèces : Ce sont des éléments ludiques pour lui.

De la même façon (IMHO), ceux (celles) qui entretiennent avec autrui une relation telle que celle que j'ai essayé de décrire, se servent des autres comme les enfants se servent de leurs excréments pour jouer et en jouir.

Stricly speaking, they mistake others for pieces of shit. C'est bien mettre les choses sens dessus dessous since, afaik, humans are not pieces of shit.

J'ai envisagé le pervers dans le cadre d'une relation interpersonnelle, lui et moi.

Le trader est peut-être pervers à titre individuel mais je ne crois pas qu'il le soit dans l'exercice de son métier : Il ne fait pas le mal pour le plaisir de faire du mal ou pour en tirer une jouissance.

L'exemple des policiers est plus approprié me semble-t-il.

(Presque) tout individu investi d'une puissance et d'une autorité (légale ou pas mais à plus forte raison légale) se voit donner les conditions d'exercer une pression sur son prochain c'est à dire précisément une occasion d'exprimer ses pulsions archaïques de violence et de domination.

Il paraît très vraisemblable en effet qu'un type muni d'un Taser ou d'un quelconque moyen d'oppression ou de torture trouvera dans l'usage de son arme de quoi satisfaire ses pulsions sadiques.

C'est la jouissance du mal pour le mal.

Il y avait de cela dans le billet consacré à la soldate israélienne qui posait devant des Palestiniens les yeux bandés.


(*) I y a une faute sur Wiki étymologie de pervertir. Il est écrit sans dessus dessous instead of sens dessus dessous!!! I make the correction.

Flocon a dit…

Et je ne me souviens plus de Lucien dans le Rouge et le Noir...

Is a seducer/womanizer a pervert? Then Kierkegaard is (Diary of a seducer).

I read it some... ? ... 20 years ago, I haven't the faintest souvenir of this book.

Ned Ludd a dit…

The character Julien Sorel is one of the most important in French literature. Reference is often made to him. From Wiki:

"Le Rouge et le Noir (The Red and the Black), 1830, by Stendhal, is a historical psychological novel in two volumes,[1] chronicling a provincial young man’s attempts to socially rise beyond his plebeian upbringing with a combination of talent and hard work, deception and hypocrisy — yet who ultimately allows his passions to betray him. In literature, it is considered the first realist novel."

There is much more at the site, but I don't mention it in case you decide to read it again.

Then there are the couple in "Liasons Dangereuse": the Marquise de Merteuil and the Vicomte de Valmont.

One of my favorites is in Céline's "Voyage au bout de la nuit". It is Robinson, who seems to have no scruples at all, but is still a little "attachant".

Flocon a dit…

Whether you have a computer-like memory Ned or you take notes of everything you read.

Il y a longtemps j'ai écrit un billet sur le peu qui me restait de mes lectures. cela ne s'est pas arrangé depuis...

Je n'ai plus de souvenirs du Rouge et du Noir ni de Julien, quelques images seulement.

Pour Les liaisons dangereuses, certes le vicomte de Valmont est un pervers au sens où il fait le mal pour le plaisir d'infliger le mal, il y trouve sa jouissance.

Quant au Voyage, je l'ai lu en 1980 et cela a été une grande révélation littéraire pour moi.

Je ne me souviens plus de Robinson mais je ne suis pas étonné qu'il soit attachant malgré son manque de moralité :

"since you may also enjoy some not so unpleasant moments with them" as I wrote in an above answer to Anijo.