mercredi 12 décembre 2007

Intolérance.

 

« La tolérance n’est pas une position contemplative dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est. C’est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être ».
C. Lévi-Strauss
(Race et histoire)

Une des répliques les plus communément rencontrées lors d’une discussion un peu animée est l’accusation d’intolérance. Il semble d’ailleurs que ce soit la véhémence du ton qui amène cette réplique. Celui qui la profère ne semble pas cependant envisager qu’elle puisse tout aussi bien lui être retournée.

On se demande si celui qui en appelle à la tolérance ne comprend pas celle-ci comme une espèce de placidité amorphe? Un discours uniforme et conformiste qui surtout ne remette rien en cause. Si l’ordre du monde est ce qu’il est, c’est qu’une autorité supérieure y a pourvu, l’a pensé et décidé. On ne peut donc pas la contester. C’est un vieux «truc» que de projeter sur autrui ce dont on est porteur mais qu’on ne veut pas assumer. Ainsi accuser autrui d’intolérance est la meilleure façon de détourner l’attention de sa propre intolérance qu’il s’agit de masquer toujours et partout. Ce qui est dit au fond n’est-ce pas: «votre discours est différent du mien, de mes préjugés et je ne peux accepter la différence".

Échanger des idées a pour finalité la remise en cause de l’ordre établi dans la façon de penser de l’autre, dans ses arguments, ses a priori ou ses certitudes. C’est une transgression qui est proposée à l’interlocuteur (ce peut être moi aussi bien sûr). A tort ou à raison. Mais l’exercice est potentiellement dangereux puisque la transgression suppose un possible danger, une remise en cause de la personne, de son identité, de son ordre intérieur. La seule indignation dont semble souvent capable celui qui en appelle à la tolérance c’est justement vis-à-vis de ce qui peut déstabiliser son organisation interne, sa relation au monde et aux autres, l’univers dans lequel il s’est ménagé son espace. Cette transgression seule suscite son indignation véritable comme elle active un mouvement reflex de recul et de refus de la différence, celle-là même qui est lourde de transgressions précisément. Et c’est bien cette peur de la remise en cause qui l’amène à mettre l’autre en cause pour éviter de l’être, lui.

Cette véhémence déstabilisatrice peut-être perçue comme une agression qu’on qualifie alors d’intolérance. Recourir au qualificatif d’intolérant ce peut être la marque d’une indignation et d’une inquiétude foncière à ce qui semble être une tentative de transgression d’un ordre qu’on veut continuer à imposer.

L’intolérance n’est alors peut-être pas du côté où l’on veut me persuader qu’elle se trouve...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Si c'est bien Locke qui est sur le trombinoscope, j'ai plutôt le souvenir d'un type ambigu, qui prônait à la fois la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la promotion de la religion anglicane contre le catholicisme et la mise à l'écart des athées. Un peu "ficelle" et typiquement anglais. Le "tolérant" n'est pas toujours celui qu'on croit non plus.
Peut-être l'as-tu posé là à cause de cette ambiguité (si ambiguité il y a : ma mémoire fait des faux)

Enfin, pour une fois que la notion de tolérance entrait dans un débat, on ne peut pas lui ôter tout mérite...

Etchdi

Flocon a dit…

Oui c'est bien Locke;

J'ai lu il y a quelques années ses "lettres sur la tolérance" et je ne suis pas allé chercher midi à quatorze heures pour l'illustration du billet...
Pas original pour un sou c'est sûr.

Cela dit, son texte est bien sûr à lire en rapport avec le contexte religieux de l'époque, donc le concept de "tolérance" n'a plus le même contenu, les mêmes références etc.

De ce fait, le terme de notion que tu emploies est peut-être plus approprié à présent que celui de concept.

Tu ne crois pas si bien dire en suggérant que le tolérant n'est peut-être pas celui que l'on croit. Il y a un pendant au billet sur l'intolérance, c'est celui sur la tolérance.

De quoi parle t-on et qui en parle? L'intolérance de l'un est la tolérance de l'autre et vice-versa.
Il y a là une dynamique qui peut servir à mettre en oeuvre un rapport de hiérarchie dans les relations interpersonnelles.

Anonyme a dit…

C'est vrai, il y a un jeu des rapports (et parfois aussi un jeu tout court, si on a l'esprit littéraire) qui peut s'établir entre personnes.

Le jeu du tolérant est de laisser l'intolérant aller jusqu'au bout et le plus loin possible jusqu'à la contradiction en ne posant que des questions ; celui de l'intolérant consiste à répondre en évitant de paraître intolérant.

Locke a beaucoup intéressé les Chinois.

Etchdi