samedi 15 décembre 2007

Plus juif que juif.

J’en ai rencontré deux il y a quelques années et j’étais bien éloigné alors de comprendre à quelle étrange configuration psychologique j’avais à faire.

C’est un mécanisme inattendu qui est ici à l’œuvre et qui voit une goï prendre fait et cause pour la défense et l’identité juives de façon cent fois plus virulente que ne le fait la majorité des juifs eux-mêmes, hormis les extrémistes religieux et autres fondamentalistes sionistes auxquels elle s’apparente en la circonstance. 

Il y a identification du sujet (oui, ça peut être énervant de s’exprimer ainsi) à la figure même de ce qui se présente comme l’incarnation idéale (idéale, au sens premier du terme) du conflit moral éternel du bien contre le mal, de la victime vs le bourreau : le courageux petit peuple juif contre toutes les forces du mal que représentent… les Autres, ceux qui ne font pas partie du peuple élu et qui désirent la disparition, l’extermination, du Bien et de la Vertu. 

Nul autre schéma n’est plus propice à la projection paranoïaque que celui-ci où les rôles sont parfaitement distribués et identifiables sans la moindre réserve possible pour celui dont le fondement de l’univers mental est organisé autour d’une dichotomie organique: Le tout ou rien, le noir et le blanc, le Bien et le Mal. Le paranoïaque ultime fonctionne sur le mode binaire on le sait, aucune nuance, aucune subtilité possibles qui ne ramènent in fine à une appréhension monochrome de son univers et de son rapport aux autres. 

On a depuis longtemps observé que c’est la haine de soi (est-il besoin de préciser que cette haine est totalement inconsciente?) qui favorise l’émergence d’une structure paranoïaque. Il y a déplacement de ce qui ne peut pas se dire, se percevoir, se comprendre de soi, (se verbaliser encore moins) sur une surface de projection qui permet de mettre au jour incognito un insoluble conflit personnel qui se pare alors des beaux atours de la défense morale du Bien et du Bon alors qu’il ne s’agit en dernier ressort que de l’expression d’un soulagement personnel. 

On peut aller jusqu’à suggérer que ce choix d’une configuration qui voit s’opposer idéalement le Bien et le Mal pour se situer dans ce conflit moral n’est autre qu’une formation réactionnelle d’un sujet qui n’est que trop conscient que s’il s’avisait de faire un travail personnel sur sa moralité il ne supporterait pas la noirceur qui se révèlerait. Alors quoi de plus “naturel” que de fuir ce face à face et de se réfugier dans une structure préexistante où il est à l’abri de tout questionnement personnel, s’étant placé dans l’ombre projetée par des concepts universaux (le Bien, le Mal) où il est très facile et absolument sans danger de choisir son camp (devinez lequel…) avec pour bénéfice essentiel (au sens premier du terme encore) de ne faire qu’un avec la représentation la plus valorisante qui soit: le Bien et la Vertu.
 
Évidemment, ces processus ne font illusion qu’un temps car tout un chacun à terme ne saurait être dupe et même s’il ne sait analyser ce qui se joue, il a bien conscience qu’il est joué, qu’il est figurant d’une pièce où un rôle (celui du méchant bien sûr, de l’immoral) lui a été attribué depuis toujours et qu’il lui est assigné, demandé de respecter cette attribution, qu’il le veuille ou non, qu’il l’accepte ou pas. Et en général évidemment on ne l’accepte pas… 

Et le conflit personnel que le sujet croyait éluder et sublimer en se déplaçant dans un registre qui le dépasse, celui des universaux, ne manque pas de resurgir quand ses interlocuteurs se révèlent ne pas acquiescer à cette élaboration dans laquelle ils se voient imposer une identité et des attributs qu’ils ne se reconnaissent nullement (ne serait-ce que parce que nul n’a autorité ni légitimité pour décider de l’identité et des attributs d’autrui). Et cette naturelle protestation de l’Autre, son refus d’être instrumentalisé par le paranoïaque, se voient ipso facto accusé et condamné au nom de l’anti-sémitisme, du racisme et de l’immoralité en règle absolue, quelle qu’en soit la figure qui apparaîtra la plus pertinente aux besoins sécuritaires du paranoïaque. 

Car c’est de cela dont il s’agit en dernier ressort: Un besoin de réassurance existentiel, un besoin d’Amour qui se métamorphose en haine par dépit de n’être pas reconnu et satisfait.

C’est une focalisation, choisie comme déversoir du trop plein de ce conflit interne qu’elle ne peut gérer autrement qu’en l’extériorisant et en le disséminant sur tout ce qui constitue son environnement. Il faut bien que soit désigné un coupable, un responsable, que soit identifié le Mal contre lequel se défend courageusement le Bien (moi, le paranoïaque)

(Double féminin, Raffaele Bueno)
 

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