jeudi 26 juin 2008

Le temps, c'est nous.




On ne saurait être en un autre temps que celui qui nous accompagne. Cela peut s’imaginer seulement comme illusion de la conscience. Le temps est une forme a priori de la sensibilité, oui. Il est un attribut du sujet, non de l’objet. Ainsi une amphore retrouvée après 2500 ans ou les os d’un dinosaure ne surgissent pas de la caverne du temps. Ils sont également disponibles et seulement au présent du sujet. Le temps n’est pas un de leurs attributs en tant qu’objets ; il ne s’agit que de la confrontation, de la mise en présence de l’inerte et du vivant. L’amphore et les restes du dinosaure n’ont pas traversé les siècles. Seule la conscience du sujet permet cette représentation

Imaginons une conscience isolée sur une île quelconque ou au sommet de la montagne. De façon plus «réaliste» une tribu d’indiens d’Amazonie ou d’Aborigènes… Ils y étaient aussi en 1735 ou en – 1314… mais ça n’a aucun sens pour eux. Cette étrangeté insaisissable de l’Histoire pour les peuples qui s’en sont constituée une est de sembler refléter une réalité déroulée dans le Temps alors qu’il ne s’agit que d’une reconstitution fictive, comme une pièce de théâtre qui n’est qu’un reflet artificiel. L’Histoire semble accréditer la notion d’étendue du Temps, comme s’il avait une représentation spatiale, comme un chemin qu’on parcourt et sur lequel on ne pourrait qu’avancer tout en considérant le chemin parcouru(*). Mais cette similarité apparente est fictive. L’irréalité de l’Histoire, son étrangeté est de donner pour réel ce qui n’est pas ; de donner l’illusion qu’il y a un passé cumulé, «disponible» à la représentation, ce qui n’est pas. Le passé n’est que représentation de représentation. Comme une pièce de théâtre, la vie a la texture d’un rêve.

Une libellule dans le ciel : un univers à soi tout seul comme nous puisque par ses yeux le monde qu’elle survole se représente dans ses quelques grammes de matière. Dans un tableau de G. Friedrich un promeneur contemple d’un sommet le paysage qui s’étend devant lui. Dans ce point qu’il est, dans son cerveau se représente le tout qu’il embrasse. La matière se reflète dans la matière. Le voyageur une fois parti, disparu, reste qu’en ce lieu le tout fut représenté quelques instants. Peu importe l’individu, fût-ce un animal, c’est le même processus de représentation.

Puisque le temps est lié à l’espace et puisque celui-ci ne se définit que par le mouvement d’une partie vers une autre, le temps serait la modification permanente de l’espace qui est la totalité, l’ensemble spirituel dans lequel nous évoluons. Chacun des milliards de ses composants passés l’a affecté d’un mot, d’une modification, un apport, un savoir.

Peut-être le dernier des crétins peut-il, une fois dans sa vie, être traversé d’une idée intelligente qui serait comme la fulgurance émanant de la pensée universelle à laquelle, lui aussi, il appartient. Comme une explosion volcanique envoie à des kilomètres des roches incandescentes qui terminent leur course dans un marais putride… le crétin ne saura pas ce qui l’a atteint et laissera évidemment se perdre cette pierre précieuse, incapable qu’il est de la reconnaître pour telle et de la faire vivre, la transmettre.

Une même idée parcourt la pensée universelle à travers le temps et l’espace. Ainsi Schopenhauer retrouve-t-il chez St Augustin une pensée sur l’impudeur des plantes; de la même façon, Fielding suggère-t-il qu’Homère en écrivant 24 livres à l’ILIADE a rendu hommage aux 24 lettres de l’alphabet grec. Peut-être Fielding a-t-il retrouvé, ressuscité l’idée d’Homère ?

L’individu n’a aucune importance. Il n’est que le vecteur de l’esprit universel. Il est accident. Dans son crâne la matière donne naissance à un univers singulier, émanation, efflorescence de l’esprit universel qui y surgit.

Un bruit que personne n’entend, un éclair dans le ciel que personne ne voit, sans témoin, n’existent pas. De même un événement «historique», un affect personnel que l’on n’a pas mémorisé enfant, adolescent, adulte. Seul un proche, un participant, un parent me rapporte qu’enfant j’ai dit, j’ai fait… Cela ne m’éveille rien, il pourrait s’agir de quelqu’un d’autre, c’est quelqu’un d’autre. S’il n’y a pas de détenteur de cet événement qui ne m’est pas souvenir, l’événement n’existe pas, n’a pas existé.
Pas de mémoire : pas de passé
Pas de sujet : pas de présent

Quelle différence alors entre une histoire (a story) et l’Histoire (History) ? Ce que je suis prêt à croire. La véracité que je lui confère. Sinon il ne s’agit que de données, des informations que rien ne distingue les unes des autres.

Notre vie est faite d’un présent permanent constitué de moments singuliers qui s’enchaînent les uns les autres. Mais à chaque instant sa plénitude, son être. Seule la mémoire, ultérieurement, confond ces instants dans une continuité qu’elle instaure pour en faire un continu dynamique. Le principe même du cinéma : chaque image est fixe, leur succession donne l’illusion du mouvement.


(*) J’ai découvert plus tard la même image chez Bergson dans l'évolution créatrice..



Aucun commentaire: