mardi 20 mai 2008

Indispensables



Il y a quelques jours il était question des mots d'origine grecque qui refaisaient surface. Oxymoron, hybris, paradigme etc.

Je viens d'en rencontrer un autre chez Michel Onfray dans son "Art de jouir", (titre repris de La Mettrie).

Hapax: qui ne se présente qu'une fois. Aisément identifiable par un anglophone (to happen).

Effectivement ce terme est "indispensable" comme le sont des centaines, des milliers de mots dans toutes les langues (peut-être) quand il faut faire avec ce que l'on a dans sa langue maternelle, au prix de "contorsions" ou d'incertaines constructions. Comme quoi la pensée est bien mal outillée pour appréhender le monde, particulièrement en français par rapport à l'anglais et à l'allemand. Mais depuis Platon (au moins) jusqu'à Wittgenstein, la cause semble entendue.

Le rationnel peut difficilement se construire et se dire alors représentons-nous ce qu'il en est de l'affectif. Mission impossible!

Pour en revenir à Michel Onfray, qui semble susciter quelques opinions contrastées, la lecture du titre susdit laisse songeur devant pareille aisance dans l'exposition (quoique les 50 dernières pages soient un peu répétitives). Il parcourt toute l'histoire de la philo occidentale, des présocratiques à Nietzsche, avec quelques références à des études contemporaines. Les citations sont innombrables au point que je me pose la question: a t-il vraiment lu tous les ouvrages auxquels il renvoie?

Il avait 32 ans quand il a écrit ce livre. A supposer qu'il ait commencé à lire "sérieusement" à 12 ans, disons un bouquin par semaine (impossible cadence en fait), il aurait lu un millier d'ouvrages avant de composer son "art de jouir".

Calcul un peu ridicule j'en conviens mais qui alimente l'interrogation... Comment fait-il, sachant bien qu'il y a des individus doués d'une capacité de travail hors du commun (en passant je salue SF, parce que tenir comme il le fait son blog à ce rythme depuis 3 ans... respect. Bon, mais lui on connaît son secret: ils sont plusieurs...).

Ce titre ("l'art de jouir" donc) est curieusement construit d'ailleurs mais cela permet une approche inattendue sur le thème du corps, le matérialisme, le sensualisme et l'hédonisme dont on sait qu'il est un ardent prosélyte (les premières pages relatent son épisode d'infarctus du myocarde).

Cette lecture accélérée d'à peu près tous les auteurs depuis 2.500 ans est l'occasion d'une bonne petite révision et aussi met en relief le très grand creux (tiens, voilà un oxymoron!) de la pensée orientale relativement à ce thème du corps etc. On me répondra, j'imagine, que les "orientaux" ne perdent pas leur temps à divaguer sur le sujet comme nous l'avons fait depuis toujours et plus encore sous l'emprise de la religion.

Ils ont bien raison, ils se sont épargnés bien des névroses...

6 commentaires:

Flocon a dit…

Désolé pour le manque d'originalité de l'illustration, panne sèche d'imagination... :-(

Michel Onfray a un site officiel reprenant entre autres sa vertigineuse bibliographie. Comment fait-il???

Anonyme a dit…

"le très grand creux (tiens, voilà un oxymoron!) de la pensée orientale relativement à ce thème du corps"

Pas vraiment d'accord, là. C'est vrai qu'il n'y a pas eu de statuaire à la grecque en Chine (à part des statues bouddhiques venues du Gandhara), pas d'idéalisation du corps-objet, mais pour la place du corps et l'importance de son usage, ils n'ont jamais eu le handicap de la belle âme dans un vilain corps.

Les Chinois disent ainsi que la médecine commence à table, que le corps caché (pas dans le sens victorien, il n'y a pas de péché là-dedans) incite plus que le corps montré. Quant aux manuels pour jouir en se renforçant le corps et l'esprit, ils précèdent de loin ce qu'on trouve ici.

Non, pour l'art de jouir de son corps, les Orientaux n'ont jamais été à la traîne. Onfray ne sort presque jamais (à ce que j'ai lu) du cadre occidental. Nobody's perfect...

ps: "Grand creux" est-il vraiment un oxymoron ?

Etchdi

Flocon a dit…

Quand je parle de la pensée orientale j'oppose la théorie (les textes) à la pratique.

Nul doute que les Orientaux en savent plus que nous et depuis beaucoup plus longtemps sur le corps et ses vertus hédonistes.

Nous sommes d'accord j'imagine.

En rédigeant, l'oxymoron s'est présenté de lui-même et j'ai hésité à le souligner.

Ce n'est pas "le très grand creux" qui est un oxymoron mais "la mise en relief d'un très grand creux... ;-)

Je crois me souvenir que tu as eu un bref échange avec Tchéni à propose de M.Onfray auquel tu paraissais reconnaître un certain intérêt (quelle mauvaise expression). Ou est-ce l'inverse?

Anonyme a dit…

Je voulais dire que les creux sont aussi un relief (pensée "orientale", certes, le vide le plein et tout ça).

Pour Onfray, je lui reconnais plus qu'un certain intérêt, même un intérêt certain. Dans mon souvenir, il me semble que Tcheni avait du mal à reconnaître l'idée d'une morale immanente (non liée à une morale de type religieux) d'obédience spinoziste et où Onfray se reconnaît avec délices.

Quoi qu'en dise Tcheni et toute la philosophie, il n'est rien d'égal à Onfray pour le moment. On doit au moins lui savoir gré de ne pas jargonner ou de courir après la télé. C'est beaucoup par les temps qui courent. Je ne partage pas tout mais je lis beaucoup de moi dans son hédonisme...

Etchdi

Anonyme a dit…

lire "ou de ne pas courir après la télé, of course.

Flocon a dit…

En fait j'ai découvert Onfray "tout à fait par hasard" (on n'en sort pas) il y a deux ans environ, à l'écoute d'un programme de France Culture à 6h du mat, sans savoir qui parlait.

Sans doute une retransmission d'un des cours de son Université Populaire de Caen.

C'était de la philo, c'était clair et impressionant d'érudition et d'aisance en plus d'être passionant, et j'ai donc écouté jusqu'à la fin pour savoir qui parlait ainsi.

J'ai essayé à deux reprises avant ces jours-ci de le lire mais... pas accroché. Bon, c'est fait. Je viens de lire "La Philosophie Féroce", recueil de 25 courts articles , dont un consacré aux magistrats! Tiens, quel hasard!!! Ca s'appelle le Surmoi des sous-moi et c'est jubilatoire, comme on dit. Bon, je ne suis pas seul...

On doit au moins lui savoir gré de ne pas jargonner ou de courir après la télé.

Quel hasard encore, sur son agenda (accessible via son site) j'ai vu qu'il devait passer chez cet insupportable faiseur mondain qu'est Guillaume Durand mais que le décès de Pascal Sevran (émission spéciale) a eu pour conséquence de faire annuler cette rencontre.

Il y a en effet beaucoup de plaisir pour l'esprit à se reconnaître chez un auteur qui exprime mieux que nous ne pouvons le faire, plus profondément, de façon plus convaincante et avec des développements insoupçonnés, ce dont nous sommes persuadés ou que nous ressentons depuis des dizaines d'années parfois.

il n'est rien d'égal à Onfray pour le moment

Je ne sais pas, c'est bien possible en effet. Le autres grands noms qui me viennent à l'esprit sont tous morts.

Paul Ricoeur avait une bonne renommée depuis bien longtemps. Son livre (3 volumes!) "Temps et récit" avait attiré mon attention (je m'intéresse à ces 2 thèmes évidemment). Et j'ai découvert que ce modeste opus faisait 1.200 pages! Ouille. A t-il vraiment besoin de 1.200 pages pour dire ce qu'il a à dire?