lundi 5 mai 2008

Moi et l'Autre



Proposons une origine spéculaire au processus historique qui devait aboutir à déterminer la nature de la relation contemporaine entre les États-unis et l’Europe.

On peut considérer qu’il y a eu scission des peuples européens entre ceux qui sont restés-la majorité bien sûr- et ceux qui ont fait le choix de partir. Il y aurait donc eu constitution d’un extérieur, d’un Autre là où il y avait -au-delà des diversités- une unité qui ne s’est révélée que par l’émergence de l’Autre. Selon M. Foucault, c’est en acceptant sa part de folie que la raison a pu se constituer dans toute sa plénitude au sortir du Moyen-âge. Nous serions ainsi l’aboutissement d’un processus similaire de reconnaissance de soi par acceptation de l’Autre.

Cet Autre n’était plus imaginaire et porteur de toutes les peurs et ignorances issues des siècles passés mais bel et bien un Autre réel et double inversé. La figure du miroir devait inéluctablement devenir l’instrument privilégié et prévalent avec laquelle l’Europe devait désormais se confronter avec son double Américain. N’oublions pas que l’Amérique a été pendant longtemps une simple extension géographique de l’Europe. Bien que les conditions objectives alors existantes expliquent le départ des immigrants, ceux-ci n’étaient pas contraints absolument à l’exil. L’acte positif de séparation, de rejet, et ainsi de constitution de l’Autre, ce sont les immigrants qui l’ont accompli, ce n’est pas ceux qui sont restés qui ont poussé les autres à partir.

Cette constitution progressive d’une cohérence (américaine) nationale fondée sur un rejet et un refus originels peut-elle rester sans conséquences sur la façon dont les Américains blancs contemporains considèrent l’Europe dont leurs ancêtres s’étaient volontairement exclus? Cette auto exclusion pouvant également se comprendre comme un abandon voire une “trahison” (il doit bien y avoir dans l’Ancien Testament une parabole de cette farine)

Si l’on ose placer ce rejet sur un plan moral, peut-on alors parler d’une faute dont le souvenir serait une composante discrète -mais permanente- de la psyché collective de l’Amérique blanche? Et qui devrait toujours être présente à l’esprit de qui réfléchit sur la nature des relations transatlantiques. Y a t-il une culpabilité sous-jacente dans un certain regard qui va des Etats-Unis vers l’Europe et qui ne peut s’exprimer vis à vis des pays d’origine de la majorité des descendants d’immigrants (Italie, GB, Pologne etc.) car cette culpabilité qui doit rester secrète se révèlerait alors immanquablement par le rappel de l’abandon originel que sa manifestation ne manquerait pas de ressusciter?

Si nous adhérons à cette hypothèse, il semble alors acceptable de considérer que c’est précisément la France qui servira de surface de projection à l’expression d’une mauvaise conscience américaine (si mauvaise conscience il y a) comme le disait Susan Sontag. S’il y a un pays en Europe qui a très peu contribué à la constitution de la population américaine (Louisiane mise à part) c’est bien la France qui n’entre pas dans ce schéma de rejet/abandon/trahison et contre laquelle précisément ces qualifications morales sont le plus facilement adressées par les média américains, au point d’être devenu un lieu commun du regard de nombre d’Américains sur elle.

Rien de plus classique que de déverser sur l’Autre qui n’en peut mais, tout l’ingérable et l’encombrant de son passé et de son identité en accusant ledit Autre de tout ce dont on est porteur et dont on veut se soulager alors même que lui (l’Autre) est radicalement étranger aux “reproches” qui lui sont adressés. Doit-on évoquer un processus paranoïaque? Ou bien alors une figure christique? Pour les Européens l’Autre c’est encore l’Amérique mais pour l’Amérique, l’Autre n’est-ce pas d’abord la France (souvent synonyme d’Europe) précisément parce qu’il y a très peu de racines françaises en Amérique et que l’identité américaine n’est en rien redevable au pays des Gaulois qui, lui, n’a pas eu besoin non plus de l’immigration vers l’Amérique pour s’identifier.

Bon, c’est juste un essai de construction hypothétique dont on peut ne rien retenir… ou peut-être pas. Il est des questions qu’un Européens peut poser mais auxquelles il ne peut répondre…



(L'image est un détail de la Vénus au miroir de Rubens)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Complètement d'accord avec ton hypothèse. A part les Huguenots qui sont partis en grand nombre en Amérique après la Révocation de l'édit de Nantes - bien obligés - les Français ne sont pas partis pour faire souche là-bas.

Il est vrai que les guerres européennes et des traités comme celui d'Utrecht ne les ont pas aidés à croire à la matérialisation d'un rêve américain. Et puis, entre les chasseurs de fourrures du Québec au début et les chercheurs d'or en Californie deux siècles et demi plus tard, il s'agissait surtout d'aventuriers sans famille.

Methinks qu'ils voulaient surtout s'enrichir et revenir au pays.

Incidemment, il me semble que les rapports d'estime entre Québecquois et Français ne sont pas entachés du même mépris que ceux qu'on trouve entre US et GB (dans le sens GB>US). Surtout depuis que la fierté francophone des Québecquois a ravi les coeurs de ce côté-ci et que les bigoteries du temps de Maria Chapdelaine ont disparu du paysage (câlice, ce qui n'est pas le cas chez les Etazuniens)...

Etchdi

Flocon a dit…

Complètement d'accord avec ton hypothèse

Voilà qui fait toujours plaisir... ;-)

Vu le genre, on ne sait jamais comment ce sera reçu... lol

entre les chasseurs de fourrures du Québec au début et les chercheurs d'or en Californie deux siècles et demi plus tard, il s'agissait surtout d'aventuriers sans famille.

Connais-tu cette histoire dont je n'avais jamais entendu parler il y a quelques mois encore? Il n'y a curieusement aucun article correspondant en anglais.

les rapports d'estime entre Québecquois et Français ne sont pas entachés du même mépris que ceux qu'on trouve entre US et GB (dans le sens GB>US)

A lire les journeaux britanniques, c'est sûr qu'ils ont la dent dure vis à vis de leurs "cousins".
Vieux complexe de supériorité par rapport à l'ancienne colonie, dépit et amertume de n'en plus être les rulers mais aussi, il me semble, profond sentiment d'abandon relativement à l'été 40 et au Blitz qu'ils ont subi tous seuls pendant qu'on se la coulait douce de l'autre côté de l'Atlantique. (genre surf, sex and sun)

Les relations franco-québéquoise me sont vraiment trop inconnues pour que je prenne le risque de dire des bêtises. Il me paraît tout de même qu'il n'y a plus de notre part, comme tu le signales, ce sentiment un peu hautain et méprisant que devaient affronter les Québécois quand ils regardaient de notre côté jusqu'après la seconde guerre mondiale.

Le Québec n'est pas vraiment à l'esprit des Français au quotidien mais c'est de la sympathie que suscitent a priori nos descendants de là-bas il me semble.

Sur le continent nord-américain, les Québécois sont encore vus comme des Européens plus ou moins, je me trompe?

L'évolution du sentiment religieux au Canada en général par rapport aux US va tout à fait dans le sens que tu dis. Entre les cathos français et les protestants anglais, il a fallu qu'ils s'arrangent: chacun chez soi!

Brève histoire mais histoire bien emmellée que celle du peuplement canadien. Entre les Anglais repoussés par les yankees et les Français du grand chambardement (je crois que c'est leur terme) plus les immigrations de la seconde moitié du XXème...

les bigoteries du temps de Maria Chapdelaine ont disparu du paysage

Ils ont bien morflés à l'époque je crois... :-(

l'Article de Wiki sur Maria Chapdelaine (que je n'ai pas lue dans la bibliothèque verte quand j'en avais l'âge) est assez intéressant, comme la discussion qui s'en est suivie.

Anonyme a dit…

Etonnante histoire que celle de cette loterie des lingots. Etonnants voyageurs aussi...

"Sur le continent nord-américain, les Québécois sont encore vus comme des Européens plus ou moins, je me trompe?"

Aux yeux des Etazuniens, les Québecquois paraissent avoir un rôle de curiosité exotique et plus abordable (moins "arrogants") que des Français, d'après ce qu'on m'en a dit.

De leur côté, les Québecquois, bien que jaloux de leurs particularités, se sentent aussi plus Américains qu'Européens, surtout par rapport aux "maujizanglais" et leur chambardement des Acajiens, mais aussi par rapport aux Français dont le parler les intimide : ils n'ont pas l'arrogance de croire, comme leurs voisins US par rapport à l'anglais d'Angleterre, que la langue du vieux pays est bizarre.

Etchdi