samedi 19 février 2011

Shake your head



Notre imagination nous rend capables de nous poser des questions qui n'ont pas de sens et à la validité desquelles nous croyons cependant.

Celle-ci en particulier : Pourquoi suis-je né à mon époque et non à une autre? dont je m'imagine qu'elle avait plus de charmes, que la vie y était plus plaisante etc.

Ainsi, pourquoi ne suis-je pas né au XVIIIè siècle ou dans la Chine des trois royaumes? Au Moyen-Âge ou il y a 5.500 ans parmi les Babyloniens?

On se pose la question dans un passé pas trop reculé, celui-là même pour lequel nous disposons de repères propres à notre culture. Mais plus on remonte le temps moins cela semble avoir de sens. Autant se demander pourquoi je ne suis pas né il y a 1.158.467 ans voire au mésozoïque...

Cela revient à imaginer voyager à travers le temps. Or le temps n'est pas l'espace tout simplement. Spermatozoïdes et ovules ne connaissent pas le temps. Le monde se créé avec notre arrivée, nous sommes porteurs de notre temps.

Les images du passé que nous nous représentons n'existent que dans notre tête. Le temps est en nous, c'est une des formes a priori de notre sensibilité, forme qui n'a pas de réalité qui nous soit extérieure.

Cette dérive de l'imagination est ancienne et liée à un certain niveau de développement culturel. On imagine les Grecs et les Romains, les Chinois ou les Égyptiens regretter un temps mythique, un âge d'or où fleurissaient toutes les vertus. On imagine moins l'imaginaire des hommes des cavernes parcouru de telles visions...

D'un point de vue analytique c'est la nostalgie de "l'avant" c'est à dire du ventre maternel qui s'exprime. C'est même le regret d'être né et de devoir vivre qui nous fait nous reporter dans un Éden fantasmé, ce lieu du sentiment océanique où nous ne faisions qu'un avec l'univers.  D'un point de vue psychologique c'est aussi une façon de mettre le réel de côté, de se retirer un instant de sa vie et donc presque de se nier.
 
Le développement de nos facultés cognitives et donc de notre imagination a fait émerger ce type d'interrogations qui, à leur tour, ont généré des représentations mentales qui sont devenues projections picturales, phénomène dont la dynamique s'est trouvée renforcée par le développement des possibilités de reconstitution de la poésie et du théâtre d'abord puis de la peinture et enfin du cinématographe. 

Comment à présent résister à la facilité avec laquelle des tableautins se présentent à nous avec de petits personnages jouant leurs petites scènes en notre présence dirait-on? Nous sommes spectateurs de notre propre petit théâtre intérieur mais ce n'est qu'un théâtre imaginaire.
 
La cour de Louis XIV, la ruée vers l'or en Californie, les Égyptiens des pyramides ou les paysans Incas n'existent plus que dans nos têtes, dans les représentations mentales collectives que nous offre notre théâtre intérieur.

 "Pourquoi ne suis-je pas né avant ?" revient à se demander "Pourquoi suis-je moi et pas un autre ?" C'est vouloir habiter un pays qui n'existe pas. C'est comme désirer voyager dans son imagination, dans son rêve.

Shake your head and dispel the images : Seul le présent continu est, celui que nous vivons. L'époque à laquelle nous aurions souhaité vivre n'existe que dans notre imagination.


(Jérôme Bosch, le Jardin des délices)

7 commentaires:

Christine a dit…

Je suis si contente d'avoir pu voir ce Jardin des délices au Prado, en vrai ! C'est un magnifique triptyque, comme vous le savez, et l'oeil ne s'épuise jamais: il y a toujours un détail, une curiosité à découvrir. Ce tableau et les Goya méritent à eux seuls, le voyage.

Flocon a dit…

Au Prado se trouve un autre chef d'œuvre vertigineux où l'on se perd ce sont les Ménines auxquelles Michel Foucault consacre une vingtaine de pages au début des Mots et des choses.

Il faudra qu'un prochain jour je me mette sérieusement à l'étude de l'histoire de l'art, aboutissement de la philosophie en quelque sorte.

Christine a dit…

Oui les Ménines, et à Barcelone, tout le travail de Picasso autour de cette oeuvre fabuleuse.

Ned Ludd a dit…

Comme a dit Hitchens dans son interview, la question n'est pas, "pourquoi moi"? mais "pourquoir pas moi"?

Flocon a dit…

Au départ je pensais à la question de Leibnitz : Pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien? et j'ai dérivé vers cette autre question du même genre (Pourquoi suis-je né à mon époque et non à une autre?) que j'ai trouvée chez Nietzsche.

Mais je n'ai plus le moindre souvenir de sa réponse.

Donc je suis un peu inquiet d'avoir écrit un billet qui est peut-être complètement à côté de la plaque (off base pour Anijo).

La question de Hitchens est du même ordre oui.

Il y au sein du questionnement une dimension nouvelle qui est ajoutée avec l'apport d'une proposition négative.

- Pourquoi y a t-il quelque chose? (au lieu de rien)
- Pourquoi suis-je né à mon époque? (et pas à une autre)
- Pourquoi suis-je moi? (et pas un autre).

Ned Ludd a dit…

Your picture of Homer Simpson reminded me of a moment when I was alone with my thought, which was that one of the few sympathetic characters in the Bible is degradingly known as "doubting Thomas".

In fact, he is derided for using the scientific method and not taking something on faith. He demanded to test if the dead Jesus was real by doing the experiment of touching his wounds.

He ended up with the wrong conclusion, but at least he used his mind and own ideas. For that he is considered an unfavorable character by the faith-heads, who prefer to not use their minds.

Flocon a dit…

The picture of Homer Simpson I used on the les nombres et le réel post dated January the 20th.

Je n'avais pas pensé à Thomas de cette façon mais effectivement c'était un empiriste avant l'heure.

C'est peut-être l'origine de l'expression : Je veux le voir pour le croire.

Intellectuellement la démarche est saine même si no sens peuvent (beaucoup) nous tromper.

Mais il doit sans doute y avoir la même expression dans à peu près toutes les cultures.