mercredi 26 janvier 2011

Les solitaires (Portraits VIII)

 

All the lonely people, where do they all belong?
All the lonely people, where do they all come from?

Il est des gens qui sont malheureux de n'être pas mariés, d'autres s'en réjouissent. Certains sont  malheureux de n'avoir pas d'enfants, d'autres s'en félicitent. Certains voudraient le pouvoir, d'autres ne sont pas le moins du monde affectés par cette pathologie et s'en portent d'autant mieux.

Il est des pertes de proches qui détruisent jusqu'au fond de l'âme des parents ou des enfants tandis que ces mêmes pertes laissent quasi indifférents d'autres parents ou enfants. Des veufs ou des veuves sont inconsolables et leurs vies restent figées au jour où l'autre est parti. D'autres se remarient ou "refont" leurs vies comme on dit. Combien sont en couple et ne rêvent que de se retrouver seuls?

De toutes les conditions possibles qui peuvent nous affecter, la solitude paraît être celle qui est la plus crainte et la plus mal vécue par ceux qui sont malheureux comme des pierres d'être seuls quand d'autres au contraire ne conçoivent vivre que dans la solitude.

Certains se sentent seuls au milieu de leurs "amis", d'autres ne sont plus heureux que gardant pour eux seuls leur mystère et leur singularité ainsi que l'écrit Baudelaire.

Comme quoi Spinoza a raison de penser que rien n'est bon ou mauvais en soi, tout dépend de la nature de nos passions (Je suis cependant plus sceptique quand il s'agit des douleurs physiques).

Hormis la mort qui ne connaît pas de nuances, la solitude n'est pas monolithique. Vivre au milieu de ses semblables n'est pas être seul, échanger ne serait-ce que quelques mots avec qui que ce soit au cours d'une journée n'est pas être seul.

La solitude la plus absolue serait celle d'un cerveau pensant enfermé dans un bocal, ce qui est une hypothèse de psychologie expérimentale épouvantable mais envisageable. Ne plus être en contact d'aucune façon que ce soit avec ses semblables, avec l'extérieur voilà ce que serait la solitude la plus insoutenable.

Il y a mille et une façons d'être seul et autant de nuances dans ce sentiment de solitude. La solitude est un affect et une condition qui font partie de notre existence comme la joie et la peine, l'espérance et le désespoir, l'envie, le désir ou le dégoût et cent autres des modes de notre être.

L'image la plus communément associée à la solitude est celle de la tristesse, de l'abandon, voire de la déréliction pour les croyants. Et pourtant...

J'entendais un jour le président d'une quelconque association qui s'insurgeait contre ceux ou celles qui se lamentent d'être seuls alors qu'il existe des centaines de milliers d'associations en France où chacun a la possibilité de rencontrer d'autres personnes et d'ainsi rompre une solitude vécue comme un continuel malheur. 

Ne mettait-il pas le doigt sur la raison première de la solitude à savoir l'égoïsme de ceux ou celles qui s'en désolent mais sont incapables d'y remédier parce que telle est leur nature d'être dans l'attente passive de l'autre et d'être incapables de s'ouvrir à l'autre quoiqu'ils en disent ou croient?

Les solitaires semblent imaginer qu'existe entre eux et les autres une vitre qui n'existe en fait que dans leur organisation mentale qui ne fonctionne, si je puis dire, qu'en vase clos. Nul n'y peut rentrer car au fond d'eux-mêmes les solitaires ne veulent pas y laisser entrer qui que ce soit, ils ne veulent pas s'engager, quitter leur confortable solitude où personne n'est là pour déranger leur organisation mentale et sociale.

Dans la balance coûts/bénéfices, les coûts prévalent toujours sur les bénéfices dans l'inconscient des solitaires qui fantasment et idéalisent la vie à deux pour d'autant mieux se satisfaire de leur sort.

Ceux qui souffrent de la solitude, toute relative une fois encore, en souffriront toujours  parce qu'ils  ne comprendront jamais que leur vie correspond à leur nature intime qui les destine plus à la solitude qu'à l'échange et au partage.

Le plus difficile n'est pas d'être seul mais d'accepter que telle est notre nature, de s'accepter soi-même, de s'aimer en un mot.

Changer l'ordre de mes désirs plutôt que l'ordre du monde écrivait Descartes à juste titre évidemment.

8 commentaires:

Ned Ludd a dit…

In his Devil's Dictionary, Ambrose Bierce defined "alone" as something like "being in bad company".

Flocon a dit…

Effectivement, on est toujours la mauvaise compagnie de quelqu'un et réciproquement.

Merci d'avoir cité Ambrose Bierce dont je ne connaissais que le nom. Mon ami me dit qu'il est contemporain de Mark Twain à qui il ressemble un peu.

Je n'avais jamais entendu parler de son dictionnaire qui me fait fortement penser au Dictionnaire des idées reçues de Flaubert bien sûr.

Well, so they say here d'ailleurs.

Flocon a dit…

J'ai mentionné Robinson Crusoé dans un petit ajout ainsi que la phrase "La solitude ce n'est pas le monde ou les autres qui ne veulent pas de nous mais bien l'inverse."

Encore un trop long billet dans lequel j'aurais cependant pu rappeler combien les philosophes et les sages ont de tous temps considéré la solitude comme la situation la plus propice à la connaissance de soi-même et au développement de ses facultés créatrices.

Cela se discute mais ce serait un autre billet alors.

La solitude ne se choisit pas plus que l'état social. Là encore, le déterminisme est à l'œuvre et nous impose ce que nous devons vivre en fonction de ce que nous sommes.

Ned Ludd a dit…

Flocon, as to Bierce, I remember that at the time I was in high school, we read "Incident at Owl Creek Bridge". I am not sure anymore that that is the exact title or if students have to read it anymore, but it impressed me at the time.

Flocon a dit…

Ned,

The short story by A. Bierce appears under the title An Occurence at Owl Creek Bridge on Wiki and there's even a short article in French.

For what I've read I understand it may have impressed you.

I'll read the English article later this evening.

Christine a dit…

Dans Le joueur d'échecs, l'un des personnages principaux vit précisément cet enfermement sans voir personne -hormis des gestapistes qui le harcèlent de questions de temps à autre- sans rien à voir, sans rien à lire, sans rien à entendre; c'est épouvantable, comme vous dites! Ce personnage frôle la folie: s'il n'avait pas trouvé un manuel de jeu d'échecs, il serait mort de ne plus se sentir humain, au sens d'être socia(b)l(e).

La solitude? comme disait un célèbre chansonnier "ça n'existe pas". (une pirouette, je l'avoue)

Flocon a dit…

Christine,

Je n'ai malheureusement plus le moindre souvenir du Joueur d'Échecs (--> petit détour chez mon ami).

"cet enfermement sans voir personne -hormis des gestapistes qui le harcèlent de questions de temps à autre- sans rien à voir, sans rien à lire, sans rien à entendre; c'est épouvantable"

Dans une première "mouture" j'avais inclus un petit paragraphe sur Ilan Halimi que j'ai ôté à la relecture, le billet est assez long comme ça.

Il n'empêche, le martyr de ce garçon, pire que ce qu'il aurait vécu à Auschwitz, m'a rendu malade et empêché de dormir pendant plusieurs mois il y a 5 ans et a définitivement gravé en moi une vision tragique de l'existence, s'il en était encore besoin.

Sans compter le regard que je porte sur le pêché et la rédemption (j'ai un vieux billet la-dessus), la peine et le châtiment, la prison etc.

On retrouve ce thème de l'enfermement est de l'évasion par l'esprit dans un magnifique roman de Jack London, le vagabond des étoiles que je considère une pure merveille.

Le chansonnier dont vous parlez s'appelle Gilbert Bécaud dans cette chanson qui n'est pas la version originale et où il éprouve le besoin (comme toujours d'ailleurs) de faire le mariole.

Flocon a dit…

Ned,

The An Occurrence at Owl Creek Bridge text is available on Project Gutemberg (in case you want to read it again).

I've downloaded it and will print it later. It's only 6 pages long.

You may know that a French film named la rivière du hibou (see also the English article) was made in 1962 with Robert Enrico as director.

Robert Enrico est bien connu dans le cinéma français. Je ne savais pas qu'il était mort.

Merci de m'avoir dirigé vers Bierce et cette nouvelle qui ressemble fort par sa thématique (body and mind) au Vagabond des étoiles de J. London. Have you read that novel by Jack the Californian?