vendredi 28 janvier 2011

Ben Ali et La Boétie


Étienne de La Boétie est l'auteur d'un essai, Discours de la servitude volontaire, qui traite de la tyrannie, de son origine, de son mode  de fonctionnement, de la légitimité de l'autorité en général et surtout des moyens de s'affranchir de la domination d'un individu sur un peuple.


La thèse principale de La Boétie est que le peuple s'abandonne volontairement à la puissance d'un individu, que c'est par habitude et oubli de ce qu'est la liberté qu'il se soumet de lui-même à la tyrannie.

Cet essai du XVIème siècle prenait ses exemples essentiellement dans l'antiquité gréco-latine, il n'empêche, on peut se poser la question de la pertinence de l'analyse au regard des multiples tyrannies qu'ont connues les hommes au travers des âges.

Une des phrases les plus citée du traité de la servitude volontaire est : "Soyez donc résolu à ne plus servir et vous serez libre".

On pourrait penser que la récente "révolution" tunisienne illustre heureusement cette maxime de La Boétie.

Il n'en est rien car on sait que la raison de la fuite du dictateur Ben Ali tient principalement au refus de l'armée tunisienne de continuer à servir la personne du malfrat qui avait mis le pays en coupe réglée.

L'armée, fût-elle restée loyale au président tunisien (avec l'aide humanitaire d'Alliot-Marie, Ministre des affaires étrangères s'il vous plaît!!!), il y aurait eu plusieurs centaines de victimes sans doute mais force serait restée au pouvoir.

S'il suffisait d'être résolu à ne plus servir, les Kurdes sous S. Hussein, les soviétiques sous Lénine, Staline et leurs successeurs, tous les peuples asservis de par le monde ne le seraient pas restés bien longtemps et la dictature ne serait qu'un thème de philosophie politique.

L'immolation de Mohamed Bouazizi peut faire penser au battement d'aile du papillon de par les conséquences qu'elle a engendrées. Cet événement tragique n'est cependant que ponctuel et, sauf à envisager un véritable carnage, je ne vois pas l'Égypte, l'Algérie ou l'Arabie saoudite, entre autres, courir un véritable risque d'effondrement politique par "contagion démocratique".

Si La Boétie avait raison, cela se saurait depuis le temps...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Anijo,

It is interesting that "jurisprudence" has a different meaning in French than it does in English. I know a lawyer quite well so if this discussion ever gets going I can share with him the comments.

Anonyme a dit…

Ned Ludd

You might be interested in John Rawls' "A Theory of Justice"(Théorie de la justice). It is long and requires attention, so I am reading it in short pieces.

Flocon a dit…

Anijo et Ned, je suis désolé, il y a encore eu un de ces mystères de l'informatique...

J'ai passé 3 heures à recomposer le billet qui apparaissait sous un graphisme tout désordonné.

Vos commentaires avaient disparus, il a fallu que je les récupère mais vos noms n'apparaissent plus directement.

Ned Ludd a dit…

With the economic crisis, Americans have largely shown that they accept voluntary servitude, though at a different level. Barbara Ehrenreich has a good comment in the LA Times.

erhenreich

"Americans were not always so myopic that they saw the world through the cross-hairs of their rifle sights. During the depression of 1892 to 1896, unemployed workers marched to Washington by the thousands in what was then the largest mass protest this country had seen. In 1932, even more jobless people -- 25,000 -- staged what was, at that time, the largest march on Washington, demanding public works jobs and a hike in the inheritance tax. From the '60s to the '80s, Americans marched again and again -- peacefully, nonviolently and by the hundreds of thousands -- for civil rights, women's rights, gay rights, economic justice and against wars. In fact, this has been a major focus of Piven's scholarly work over the years — the American tradition of protest and resistance to economic injustice -- and it's a big enough subject to keep hundreds of academics busy for life.

There are all kinds of explanations for how Americans lost their grass-roots political mojo: iPods have been invoked, along with computer games and anti-depressants. And of course much of the credit goes to the so-called populist right of the Rush Limbaugh and Glenn Beck persuasion, which argues that the real enemy of the down-and-out is not the boss or the bank but the "liberal elite" represented by people like Piven."

Flocon a dit…

Ned,

Merci pour le lien. Je suis allé voir qui est Barbara Ehrenreich.

La Boétie traitait de la servitude consentie à un tyran, c'est à dire à une personne qui s'appuie sur la force armée, mais il est vrai que l'on peut aussi envisager la servitude à un système, à une idéologie qui utilise l'arme de la persuasion.

C'est le thème du dernier livre de Ehrenreich si j'en crois Wiki français.

Pour ce qui est des idéologies ou des croyances, toutes les religions se sont structurées sur la peur, la menace et le chantage pour asservir les croyants et les amener à accepter "volontairement" leur servitude.

Le "Soyez donc résolu à ne plus servir et vous serez libre" de La Boétie vaut autant pour se libérer de la tyrannie des croyances et superstitions car pareille libération des esprits est la plus lourde de potentialités révolutionnaires.

Il est sans doute plus difficile encore de réveiller les esprits anesthésiés que de faire se révolter les foules.

Quand bien même les Tunisiens accéderaient à une forme de démocratie représentative à l'occidentale, ils n'en resteraient pas moins musulmans comme les occidentaux sont majoritairement chrétiens.

A tout prendre ce serait déjà une bonne chose qu'ils se libérassent [(;-)] de la tyrannie policière.

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Dans l'article que tu signales, Ehrenreich rappelle les marches populaires de la fin du XIX aux U.S. Jack London avait participé à ces marches as you know.

Je ne fais pas la recherche, elle est facile à faire, un des meneurs s'était présenté aux élections présidentielles suivantes.

Flocon a dit…

Les développements actuels en Libye amènent à penser que ni Ben Ali ni Moubarack n'étaient des tyrans, le dernier encore moins d'ailleurs.

On peut distinguer entre le despote qui est encore amendable et le tyran perdu dans ses délires paranoïaques et dont seule une force supérieure ou la mort peuvent venir à bout.