lundi 14 mars 2011

Notation ou improvisation




Depuis que Guido d'Arezzo a conçu les premières règles du solfège il y a mille ans, la musique occidentale a pu se constituer un répertoire à nul autre pareil parmi toutes les civilisations qui ont jamais existé.

Ce faisant il nous est possible d'entendre la cantate Wieder Stehe doch der Sünde, le O vo omnes et absolument toutes les œuvres qui ont été composées depuis des siècles presque exactement telles qu'elles étaient entendues par nos ancêtres.

La moindre quadruple croche, le moindre soupir, la tonalité, l'instrumentation, tout sera fidèlement reproduit, seule l'interprétation pouvant donner lieu à une certaine licence. Mais l'œuvre est et d'une certaine façon elle est éternelle car notre système de notation a nécessairement amené à ce qu'il en soit ainsi.

Puisque la musique est comme l'expression sensible du Temps, le système européen d'écriture de la musique présente cet inattendu paradoxe de temporairement suspendre le flux temporel par le biais d'une capsule musicale close, l'œuvre finie, insérée dans une dimension ouverte et continue qu'on appelle le Temps.

La musique indienne tout à l'inverse ne dispose pas de système d'écriture comparable au solfège de telle sorte que les musiciens s'appuient sur des traditions pluriséculaires pour improviser toutes leurs compositions. L'inconvénient de cette absence de notation musicale est qu'elle a empêché la création d'un répertoire au sens où on l'entend en Occident.

Tous les râgas, tous les chants qui ont été créés et joués depuis des siècles ont disparu, il n'en reste rien. Chaque pièce musicale est unique et destinée à s'évanouir dans l'éther pour ainsi dire. N'était la très récente possibilité d'enregistrer les sons, il ne nous serait pas possible d'écouter ad libitum telle ou telle improvisation des joueurs de tablâ, de vînâ ou de sitar.

Paradoxe inverse du précédent, même si l'enregistrement des improvisations des musiciens indiens nous permet d'élargir notre connaissance des hommes et de leurs œuvres, on peut se demander si l'enregistrement des improvisations carnatiques ou hindoustanies n'est pas contraire à l'esprit même de ces formes musicales. 

En effet, quand le rapport au Temps de la musique occidentale est d'en maîtriser momentanément le flux, la musique indienne est, elle, complètement ouverte et continue dans son rapport au Temps. Chaque création des musiciens indiens se glisse dans le courant du Temps et l'accompagne, loin de toute idée de "capsule" figée et imperméable au Temps cosmique telle que l'Occident l'a développée.

On comprend bien que ce qui distingue radicalement les musiques occidentales et orientales, c'est donc leur rapport au Temps. Un rapport de maîtrise en Europe, un rapport de liberté et d'accompagnement en Inde. Ces musiques indiennes sont en résonance avec le Temps qui passe, elles ne s'en tiennent pas "à distance" pourrait-on dire comme le fait la musique occidentale.

Pour merveilleuses et diversifiées que soient les musiques indiennes, il n'en reste pas moins qu'en posant les bases du solfège Guido d'Arezzo a déterminé toute l'évolution de la musique occidentale et a permis à l'Europe la constitution d'un patrimoine musical qui est devenu mondial.

Qu'elle soit improvisée ou écrite, la musique est une, au-delà de la nature du rapport qu'elle entretient avec le Temps. Tel qu'il se présente écoutons donc ce merveilleux morceau joué au vîna.

6 commentaires:

Ned Ludd a dit…

Is "impermanence" permanent?

Flocon a dit…

Oui!

La question mérite d'être posée en effet mais elle se résout d'elle-même.

L'impermanence est un concept qui tend à rendre compte de la réalité telle que la conçoivent les bouddhistes.

L'impermanence est une façon de dire que tout est mouvement.

Demander si l'impermanence est permanente revient à demander si le mouvement est toujours en mouvement.

La formulation de ta question évoque les paradoxes de Zénon.

Anonyme a dit…

Indian music is traditionally taught via oral methods, and until the 20th century did not employ notations as the primary media of instruction, understanding, or transmission. The rules of Indian music and compositions themselves are taught from a guru to a shishya, in person. Various Indian music schools follow notations and classifications (see Melakarta and thaat); however, the notation is regarded as a matter of taste and is not standardized. Scholars of Europe in the seventeenth and eighteenth century were enamoured by Indian music, and with no facility to record the sound, they looked for some existing system that might express sounds in the composition. There were references to an ancient notation system which scholars had also translated into Persian; still, the complexity of Indian classical music was difficult to express in writing. Nowadays, a system created by Bhatkhande is used. Another system has been proposed which uses symbols and offers instantaneous comprehension like the staff notation system.

Flocon,
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Flocon a dit…

"until the 20th century did not employ notations as the primary media of instruction, understanding, or transmission"

Which is an indication that globalisation is at work not only in the world of finance and business but also in the cultural field.

Je voulais aborder la question mais cela dépassait le cadre du billet.

La musique occidentale est jouée partout dans le monde (Seiji Osawa, Chung Myung-whun etc.) alors que les musiques vernaculaires restent... "éxotiques", lack of a notation system.

Le jazz tient une part à part puisqu'il y a essentiellement improvisation à partir d'une mélodie et d'harmonies préétablies.

C'est finalement assez proche de la musique indienne de ce point de vue.

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Le deuxième lien évoque la notation chinoise Guqin mais je ne sais pas si cela a permis la création d'un répertoire à l'européenne. I haven't read the article yet.

Avec 907 billets en 2011 et 3.710 en 2010 Indigenous people doit être un blog collectif parce qu'il n'est pas possible qu'un seul individu produise autant.

Il y a tellement de liens vers Wiki qu'un seul billet donne de la lecture pour une semaine...

Ned Ludd a dit…

"Demander si l'impermanence est permanente revient à demander si le mouvement est toujours en mouvement."

Donc mouvement est permanent et non impermanent? Aujourd'hui la théorie principale est que l'expansion de notre univers va continuer, i.e. elle est permanente.

Flocon a dit…

Ned,

Je crois qu'il y a un game on words here.

L'impermanence est un concept bouddhiste ainsi traduit en français.

A vrai dire Wiki français parle de Anitya alors que Wiki anglais parle d'Impermanence.

Tu utilises permanence ou impermanence en tant qu'adjectifs, éléments strictement langagiers, pour les opposer à un concept comme s'ils en étaient les attributs, éléments métaphysiques.

Ce sont deux registres différents et cette pseudo opposition est l'objet d'étude de la philosophie du langage.

On peut dire que le concept d'impermanence est permanent en effet, il n'y a pas contradiction puisque les adjectifs définissent un concept en tant que tel et non ce à quoi il renvoie.

Aujourd'hui la théorie principale est que l'expansion de notre univers va continuer, i.e. elle est permanente"
J'ai un billet in the offing sur ce thème.

"L'impermanence" des bouddhistes est comparable au mouvement de Héraclite qui ne croit pas à l'unité de l'Être opposé à la permanence de l'Être chez Parménide.

L'impermanence, de quelle que façon qu'on l'interprète, est inacceptable aux théistes pour lesquels Dieu est unique, immuable, éternel et ne saurait connaître d'altération.