vendredi 19 novembre 2010

Fiction juridique (2)


Lorsqu'il s'est agi d'étudier le Contrat Social de Rousseau je ne me souvenais pas avoir signé un quelconque contrat avec qui que ce soit. Bon, j'avais 17 ans il m'a fallu quelques mois encore pour comprendre qu'en fait ma personne n'était qu'une infime partie d'un ensemble plus important qui aurait signé ce contrat en mon nom bien auparavant.

Je n'étais guère convaincu cependant et le fus encore moins en apprenant que la théorie hobbesienne, antérieure d'un siècle à celle de Rousseau, reposait en fait sur deux fictions qui étaient un État naturel de l'homme qui n'avait jamais existé et un Contrat Social que personne n'avait jamais conclu.

"Remontant" le temps je me demande si les Sumériens, les Chinois, les Égyptiens ou les hommes des civilisations précolombiennes avaient jamais établi un contrat par lequel ils abandonnaient leur indépendance et aliénaient leur liberté au profit d'une entité régulatrice qui leur devait protection et justice.

Théorisation après coup d'une situation historique donnée, voilà ce que me semble être ce concept de Contrat Social qui a tant influencé le monde anglo-saxon mais dont je suis pas sûr qu'il ait quel que sens que ce soit pour les civilisations non occidentales.

Admettons cependant l'existence de ce contrat social pour un temps.

En échange de ma liberté que je lui abandonne l'État me garantit justice et sécurité. Un peu comme au Moyen-Âge le seigneur assurait les mêmes garanties à ses serfs et paysans qui n'avaient rien signé, le seigneur avait imposé sa loi.

Un contrat engage évidemment les deux parties, ni l'une ni l'autre ne pouvant se dédier de ses obligations. En particulier il est absolument interdit à quiconque de se faire justice soi-même puisque c'est à l'État qu'incombe cette charge qui justifie précisément son existence et l'engagement auquel j'ai supposément consenti à son endroit.

Nul n'ignore pourtant les infinis manquements à cette obligation de justice que commettent tous les États du monde et qui laissent quotidiennement des milliers de victimes exclues du droit qu'elles ont à une réparation. L'État en la circonstance est bien en rupture permanente des termes du fameux contrat.

Il en va de même pour ma sécurité tant physique que morale ou matérielle (la propriété) dont chacun constate combien elle est vulnérable et souvent non assurée. Quand un État décide d'une guerre dont le peuple ne veut pas et qui lui est cependant imposée ne s'agit-il pas d'une mise en danger délibérée de la vie des citoyens qui n'ont pas délégué cette prérogative à l'État lors de la conclusion fictive de ce non moins fictif contrat?

Un contrat engage les parties simultanément pour une durée indéterminée sauf à ce que ledit contrat soit dénoncé par une des parties ou que l'une de celles-ci s'affranchisse unilatéralement de ses obligations ou ne les remplissent pas selon les termes de l'accord.

Aucun État ne garantit ni ne peut d'ailleurs garantir une sécurité civile absolue, cela est matériellement impossible. Mais tel n'est pas le cas de la justice que rien n'empêche d'être pleinement rendue en toutes circonstances n'était la monstruosité kafkaïenne de tous les systèmes judiciaires, l'impéritie des individus en charge de rendre la justice et l'imperfection inhérente à toute institution humaine.

Il n'empêche, d'un point de vue légal une partie ne remplit que partiellement ses obligations quand l'autre a définitivement aliéné son droit "naturel" dans un contrat léonin. Je suis donc théoriquement fondé à soutenir que chacun peut se rendre justice lui-même au cas où mon contractant est défaillant sur cette obligation qu'il est dans l'incapacité, pour quelle que raison que ce soit, de remplir.

Bien évidemment il est pratiquement impossible d'accepter que soit rendue effective cette possibilité de recouvrer son droit "naturel" puisque chacun sait bien que ce serait une guerre civile permanente comme l'écrit Hobbes en se référant au Homo homini lupus de Plaute.

Toute l'histoire des États-Unis au XIXè témoigne de l'impérative nécessité d'établir la Loi fédérale dans les territoires où régnait précisément le droit "naturel" des hommes. La vente et le port d'armes tels qu'ils se pratiquent aux US ne sont-ils pas des résidus de ce droit "naturel" tel qu'il était conçu à l'époque où les individus étaient à la merci des uns et des autres?

La nécessité d'un État ne fait bien entendu aucun doute mais c'est bien plus la simple résultante du développement historique qu'ont connu toutes les civilisations que l'application d'une théorie de philosophie politique qui n'a d'autre fondement que deux insoutenables fictions.

(Le concept de Contrat Social est d'ailleurs de plus en plus critiqué de nos jours)


8 commentaires:

merbel a dit…

Une autre facette de Rousseau... Qui préférez-vous?
le musicien ou le philosophe ou le Promeneur

merbel a dit…

J'oubliais le titre de cet intermède "Le devin du village"! Tout un programme, n'est-ce pas? (une réalité musicale, en somme)

Flocon a dit…

Alors là, total respect merbel!

Je connaissais de nom bien sûr le Devin du village mais il ne m'est jamais venu à l'esprit de faire une recherche sur YouTube...

Et c'est bien plaisant à écouter.

Comme au poker je dois me refaire!

Voilà qui est bucolique à souhait.

Ned Ludd a dit…

The human species is gregarious. It and its ancestors could not have survived without working together. Yet, that applied mainly, or even only, to the group or tribe that one belonged to. So, there were lots of conflicts between groups.

A lecture by Steven Pinker, which I may have previously mentioned, argues that the level of violence has greatly declined over the centuries. "A brief history of violence". This was given at the site TED, which I highly recommend.

http://www.youtube.com/watch?v=ramBFRt1Uzk&mode=user&search=

The original title of his lecture was "Everything you know is wrong". He argues that our standards of intolerable violence has outpaced our behavior towards violence. He says that over centuries we have included more and more people in our groups, leading to less violence against those who were once considered outsiders. He talks briefly about Hobbes's Leviathan theory, and not in the sense of a social contract, perhaps rather a necessity. As I have said, I have forgotten my Hobbes. Pinker ends with the questions of not what we have been doing wrong, but what have we been doing right?

For a bit of amusement, the Vatican has issued a statement that the laicization of society is a dictatorship against religion. Laicism is defined in my dictionary as simply, "a political system characterized by the exclusion of ecclesiastical control and influence." When the churches were in control, violence and torture and wars(religious) were much more common. Besides things like the crusades, there are individual cases like Chevalier de la Barre in Paris and Bruno in Italy.

From Ned, "le dilettantisme etendu".

Flocon a dit…

Ned,

Your ego may enjoy a little moment of elation when I tell you someone came at 11h43 on this post by searching for "le général ned ludd a t-il raison?"...

I answered: YES!

Kidding aside "The human species is gregarious" is a reminder of Aristoteles' "l'homme est un animal politique".

Before I go to Pinker que je ne connaissais pas je dois lire l'article Wiki sur Dawkins qui est assez long (here lays an amphibology).

J'ai vu la dernière sortie de B16, c'est le monde à l'envers une fois encore!

"there are individual cases like Chevalier de la Barre in Paris and Bruno in Italy."

These names have survived like that of Etienne Dolet but how many hundreds thousands have not?


"From Ned, "le dilettantisme etendu"

Now I see you've fully grasped the "concept" behind Shall We Talk? !

Anonyme a dit…

since ego has been featured this week on Shall We Talk ...

ego trip

Ned Ludd a dit…

Flocon, in the previous post you link you mention Tokyo Rose. It seems that she has gotten a bad rap as a collaborationist.

http://www.historynet.com/tokyo-rose-they-called-her-a-traitor.htm

Flocon a dit…

Ned,

I don't remember where I linked to Tokyo Rose although I remember I did somewhere.

I've seen your link and Wiki's one about Iva Toguri d'Aquino. Didn't know she passed away age 90 4 years ago only.

Also I remember the story of a spy woman acting for the Germans during WWII. She was sending messages through puppets and she was caught red handed just when she was about to meet with the crew of a submarine.

I know where I read the story: in one of my comic strips (Spirou) around 1960. Now, I' doubt I shall take the time to retrieve the copy (still in my drawers yet).

I make a quick search on Google.