mardi 14 octobre 2008

A la surface





ARTE a diffusé hier un des documentaires de B. Monsaingeon consacré à Glenn Gould. Et une fois encore j'ai entendu un interprète parmi les plus grands exposer que plus il travaillait l'œuvre de tel ou tel compositeur plus il la découvrait et plus il en admirait la prodigieuse splendeur.

Il y a 40 ans c'est Arthur Rubinstein que j'avais entendu dire la même chose. Pianistes ou violonistes, tous s'accordent sur ce point que n'importe quel mélomane un tant soit peu averti ne peut qu'humblement accepter.

C'est une chose que de suivre, avec la partition éventuellement, les Variations Goldberg ou la Sonate n°4 en mi bémol majeur de Mozart, c'en est une tout autre que de reconnaître l'architecture intérieure, faute d'une meilleure expression, de ces œuvre et de toutes les autres.

Et encore la musique est-elle, à mon sens, l'expression artistique la plus facilement accessible. Pas d'effort (de lecture) à faire comme pour la littérature, pas d'interprétation symbolique comme pour la peinture; la chorégraphie ou la sculpture sont-elles mêmes abordables sans une sérieuse formation a priori?

Nous croyons entendre et nous n'entendons rien, nous croyons voir et ne voyons rien. C'est une lapalissade évidemment mais le visiteur du musée des Arts Primitifs ne voit pas les mêmes objets selon qu'il vient d'Europe ou d'Océanie.

Un auteur avait rendu visible dans un de ses romans l'architecture de La vie mode d'emploi, Georges Pérec, un peu comme les architectes du Centre Beaubourg à Paris. Mais au fond, ce n'était qu'un dévoilage partiel et dans le cas de Pérec, cela faisait partie de ses "contraintes".

Il n'empêche, je me sens désespérément éloigné de tout espoir de pénétrer davantage Le clavier bien tempéré. N'est pas Glenn Gould qui veut non plus... Je reste sur la surface à deux dimensions d'un monde qui en compte plus de trois.

Peut-être les Haikus offrent-ils une possibilité d'emprunter la voie qui mène à la transcendance?



(J'avais consacré un billet il y a un an sur ce même thème mais Blogger, qui n'est décidément pas fiable, n'a pas gardé trace de l'illustration, un fragment d'un G. de La tour)

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Tu as raison de dire que la musique est "l'expression artistique la plus facilement accessible" (par rapport à la littérature), mais comme l'a montré hier soir (mardi) une émission sur les effets de la musique des Noirs aux USA, elle présente l'avantage d'avoir plus d'influence, puisqu'il est clair que c'est avec elle et beaucoup de lutte que les Civil rights sont devenus une réalité, au moins sur le papier.

Maintenant que tu en parles, la forme écrite des haiku a un effet aussi puissant, du point de vue de la musique cachée que leurs mots suggèrent. Il faut dire que beaucoup de formes poétiques (mais pas les haiku) peuvent être carrément chantées ou accompagnées d'un instrument en Extrême-Orient.

En tout cas les haiku et leurs cousins ne mènent pas à la transcendance. Une extase esthétique et fugace, plutôt. Enfin c'est mon avis... Mais quel vertige.

Pour le Clavecin, Richter n'est pas mal non plus.

Etchdi

Flocon a dit…

N'est-ce pas précisément parce qu'elle est l'expression artistique la plus facilement accessible que la musique, en général, a le plus de pouvoir politique potentiel?

Celle des Noirs aux US ou les hymnes "révolutionnaires" partout dans le monde.

"Give peace a chance" de Lennon n'a pas arrêté la guerre du Vietnam a elle seule mais n'y a t-elle pas participé tout de même un peu en alimentant la masse des protestataires américains et en faisant prendre conscience à nombre d'autres de ce qu'était cette horreur?

A propos des haikus, à peine avais-je posté le billet que je me suis dit que j'étais tombé dans le panneau de tous les occidentaux incultes: le dépouillement apparent des haikus exige lui aussi, j'imagine, une science qui me fait défaut. Il faut déjà lire le japonais et connaître l'art de la calligraphie.

On n'en sort pas...

re Le Clavier, de fait c'est la version de Richter dont je dispose. J'avais écouté la version de Gould mais il y avait des Préludes et Fugues qu'il jouait avec un tel tempo que je ne pouvais pas même les suivre sur la partition!

Par contre, l'Allemande de la 4ème suite française (de mémoire) est maîtriséee par Gould avec une retenue qui fait de cette pièce une poignante respiration là où les autres interprètes la jouent comme un insignifiant allegretto.

Mais là encore, what do I know du jugement que l'on peut porter sur les interprétations?

On n'en sort pas. Le monde est décidément trop vaste...

Anonyme a dit…

Ah, les Suites françaises par Gould, mes favorites. Rien que d'y penser, j'en salivais, et c'est comme ça que je viens de m'apercevoir que mon lecteur de CD ne marchait plus. Horreur totale et soirée nulle. Demain, à l'heure où blanchit la campagne, je partirai chez le réparateur.

Ce n'est pas la science qui me fait défaut quand je lis des recueils de haiku, c'est l'éveil des sens et le silence. Il ne faut pas vouloir comprendre. Même en traduction, c'est moins bien mais ça peut marcher

Meilleure soirée pour toi,

Etchdi

Flocon a dit…

"Demain, à l'heure où blanchit la campagne, je partirai chez le réparateur."

Je crois lire une phrase du "Journal d'un curé de campagne" de Bernanos, où le prêtre, au petit matin -à l'heure où blanchit la campagne- se rend au bourg pour faire réparer son vélo...

Les voies de la transcendance sont aussi innombrables qu'elles sont impénétrables (ce qui signifie donc que la dite transcendance est inaccessible) ;-)

Anonyme a dit…

Il ne s'agissait que d'un emprunt un peu sacrilège et inexact à not'Victor national.

Personnellement, je me suis toujours un peu méfié de la transcendance. Ca m'apparaît comme un vaisseau fantôme empli de remugles bizarres qui renvoient à la supériorité du genre humain à un moment ou un autre.

Etchdi

Anonyme a dit…

Bonne nouvelle en ces temps de crise : mon lecteur de cd est réparé, ce qui m'a aussi permis de remettre au hit-parade la gigue de la Suite n°5...

Flocon a dit…

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.


La honte!!! Merci d'avoir comblé une lacune. Comment ce poème m'est-il sorti de la mémoire jusqu'à ton heureuse intervention?

Rimbaud ne s'en est-il pas souvenu dans "Sensation"?

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien...

Il n'empêche, je dois lire Bernanos.


Je suis content pour ton lecteur de CD. En général quand c'est kaputt il faut en acheter un autre.

Profites-en pour faire un passage par Ravel et son deuxième mouvt du concerto en sol...

Bien à toi,

Anonyme a dit…

Il n'y a pas de honte, mon cher Flocon. Tant de choses que nous savons pas, ou plus, ou que nous ne saurons jamais.
Merci de me rappeler le concerto en sol. Je me demande si on n'a pas les mêmes disques.
Par contre, Bernanos, pour moi, c'est plié. Trop de mauvais souvenirs...

Flocon a dit…

J'ai la mémoire qui flanche...

L'allemande interprétée par Gould que je citais il y a quelques jours n'était pas dans une suite anglaise mais dans la 4ème partita en Ré majeur, BWV 828.

Quant à Bernanos, j'ai vu le Journal d'un curé de Campagne et Mouchette de Bresson, il y a... pfff... 30 ans et je m'en souviens suffisament bien pour aller voir l'original.

Bernanos, pour moi, c'est plié. Trop de mauvais souvenirs.... Les années collège/lycée chez les Jez? ;-)

Tant de choses que nous savons pas, ou plus, ou que nous ne saurons jamais.

Il y a un relent d'omnipotence/omniscience dans ce désir de maîtrise, avoir tout lu, tout entendu, vu etc.

Je ne lirai jamais le Dit du Gengi par exemple. Ce n'est pas un engagement bien sûr mais la lucide compréhension que je n'ai plus la tête à lire des milliers de pages :-(

Enfin, il ne faut jurer de rien.

Dans le même ordre d'idées, qui peut se targuer de distinguer les 90(?) symphonies de Haydn les unes des autres? Ou les pièces pour clavier de Schubert? hormis les interprètes évidemment.

Prenons les choses telles qu'elles se présentent au risque de perdre une partie de son temps avec ce qui ne le justifie pas. Ou ce avec quoi on ne peut trouver de résonnances. J'ai essayé plusieurs fois de lire Bachelard, en vain...


Carpe diem


(Veuilles bien excuser le délai de réponse, des circonstances indépendantes de notre volonté etc...)



Je dois essayer Valéry aussi.