jeudi 12 juin 2008

T4° La cascade

La technique de la cascade est une des formes de mise en abîme que chacun a pratiqué dès son plus jeune âge comme une modalité a priori d'évitement du danger.


Marabout
Bout d'ficelle
Selle de ch'val
Ch'val de courses
Course à pied
Pied à terre
Terre de feu
Feu follet
Lait de vache
Vache de ferme
Ferme ta boîte
Boîte à lettres
etc.

À l'infini...


La méthode consiste à reprendre chaque phrase, chaque affirmation ou même un simple énoncé de départ qui devient l'enjeu d'une première escarmouche où l'on commence à s'épuiser. Mécanisme de défense du Moi type, le procédé consiste à entraver le discours de l'autre en saisissant une rime qui servira à entraîner le locuteur dans des errements sans fin, à le dévier de son axe signifiant vers des voies de garage qui sont autant d'impasses.

Glissements progressifs, petits décalages imperceptibles comme des impromptus qui font insensiblement dériver la course du navire. Artificielle contradiction qui n'a d'autre légitimité qu'une similarité des formes des arguments ou même des mots qui servent à les verbaliser. C'est le degré zéro de l'éristique mais le contre-pied parfait qui contraint le vis-à-vis à rester au même niveau infantile de «discussion». Il établit de fausses liaisons, de faux rapports du même type que ficelle et selle, follet et lait. Ça n'est en rien une réfutation, ça n'y ressemble même pas et ça ne peut y prétendre. Juste une mécanique de mise en abîme pour faire se perdre l'interlocuteur.

Le but de la manœuvre est d'épuiser la puissance du discours de l'autre, de faire s'évaporer la teneur de ses arguments, de le faire s'éloigner de plus en plus du but qu'il s'était fixé de telle sorte que le contenu même de son discours, les articulations de ses arguments, soient peu à peu rendus inopérants, désarticulés, démembrés. L'interlocuteur aura beau s'évertuer à essayer revenir au fil conducteur de son discours, c'est en pure perte. Inlassablement se multiplieront les interventions, les aiguillages, les occasions de digressions qui imparablement le distrairont de plus en plus de son but, du maintien de son cap.

Ne s'agit-il pas finalement de distendre à ce point la chaîne de causalité que le locuteur sera, dans l'intimité même de son être, privé de cette forme a priori de la connaissance qu'est l'universelle loi de raison suffisante, parce que sa mise en œuvre en aura été viciée, dénaturée? Cette «technique de la cascade» vise donc à introduire un coin dans le mode même de fonctionnement du processus rationnel, elle dépossède l'autre de ses outils naturels de raisonnement et d'échange et, par là, réalise son aliénation radicale.


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Rupture, cascade... c'est fascinant. Tel Monsieur Jourdain, je découvre ébahi certains rouages intimes de l'évitisme.
Quoique. Il faut nuancer : l'évitisme n'est pas une théorie maligne, il faut bien garder ça à l'esprit, c'est d'abord une tactique d'auto-défense face à un inquisiteur...
L'absence de réponse fait-elle aussi partie du programme de Schopi ?
Je pense qu'on pourrait enrichir la liste des ruses de la controverse par une lecture des gong'an (cas de questions réponses qui faussent la rationalité habituelle) de certains maîtres de chan
((zen en japonais). Voir par exemple Les entretiens de Lin-ts'i, (trad. Paul Demiéville, Fayard).

Etchdi

Flocon a dit…

Rupture, cascade... c'est fascinant.

j'espère que la suite ne te décevra pas.

l'évitisme n'est pas une théorie maligne, il faut bien garder ça à l'esprit, c'est d'abord une tactique d'auto-défense face à un inquisiteur...

Mais nous sommes bien d'accord. Mon projet était de repérer et d'identifier des mécanismes pervers et malins pour s'en prémunir. Pas pour les mettre en oeuvre à mon tour. Il y faut d'ailleurs une tournure d'esprit particulière, teintée de sadisme (mon hypothèse développée plus avant).

Je vais le lire ce court traité de Schopi finalement. Mais comme je l'ai signalé il y a quelques jours, lui se place ouvertement dans une position offensive, de celle précisément que je veux dénoncer.

Quant à l'absence de réponse, au fond tous les mécanismes que j'ai répertoriés sont des formes diverses d'absence de réponse.

J'ai trouvé ce lien sur le titre de Démiéville que tu conseilles. On ne le trouve plus dans le commerce comme l'on dit mais il est disponible à la réserve centrale des bibliothèques de la Ville de Paris.

Flocon a dit…

A la relecture je m'aperçois qu'il peut y avoir ambiguïté effectivement quant à ce que l'on entend par évitisme...

Ce peut être la situation de celui qui évite de répondre aux questions en mettant en oeuvre les mécanismes que tu sais.

Ce peut être aussi, et c'est ma position, la situation de celui qui évite de se coltiner celui qui refuse de répondre aux questions.


Par ailleurs, j'ai retrouvé une citation de René Char qui me semble appropriée à ce que je te disais quand tu parlais de noyer l'interlocuteur (après qu'il ait été question de pluie et d'eau)

"Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d'eux"