Encore et toujours il s'agit d'entraver le parcours du voyageur, de ralentir autant que faire se peut sa progression, son cheminement au long de son trajet vers sa démonstration. Comme le marcheur qui s'avance sur une digue et qu'à tout prix il veut faire s'égarer vers les bas-côtés, dans la boue des marais d'où il aura les plus grandes difficultés à s'extirper pour remonter sur le chemin qu'il suivait.
La contestation pro forma porte bien son nom. C'est un dernier exemple de dispositif « technique» mais aussi sans doute celui qui l'est le moins. C'est juste un réflexe, comme un sous-produit de son conditionnement à s'opposer au discours de l'autre : sur un terrain parfaitement dégagé et qui n'offre pas la moindre possibilité de mise en œuvre d'un procédé un tant soit peu plus élaboré, il avancera une remarque qui n'est même pas une réfutation ou une objection mais juste un ralentisseur, pour la forme justement.
Comme pour rappeler que même s'il n'est pas en mesure, à ce moment précis, de contredire de façon plus efficace le dire de son vis-à-vis, il reste vigilant et marque bien qu'il n'accepte rien, même ce qui serait universellement admis, sans se réserver la possibilité d'intervenir et de marquer son scepticisme, premier jalon d'un refus plus radical.
Ainsi, au moment où l'interlocuteur pose que - tout bien considéré - les assises de sa démonstration peuvent être raisonnablement admises par chacun, sous réserve bien entendu d'éléments nouveaux nécessitant un réexamen de ce projet, il ne manquera pas de mettre l'accent sur ces fameuses circonstances dont l'autre est bien conscient puisqu'il les évoque lui-même comme possible empêchement. La simple sagesse ou l'honnêteté intellectuelle ayant conduit le locuteur à envisager spontanément les éventuels obstacles qui pourraient interférer avec ses arguments essentiels, il s'approprie ou du moins récupère la contradiction latente que le locuteur a eu la précaution de mettre lui-même au jour, comme s'il était frustré d'une certaine façon de se voir couper l'herbe sous le pied par l'autre qui évoque de lui-même une possible contradiction qu'il n'aurait pas manqué de soulever sans cela.
Quand bien même tout le monde est bien conscient que dans une hypothèse donnée il peut résider un « si » alternatif logique, c'est sur le « si » qu'il interviendra, qu'il insistera, alors même qu'il est déjà pris en compte - et pour cause - par celui-là même qui l'a suggéré. Sans s'arrêter le moins du monde aux éléments positifs qui fondent et structurent le discours qui lui est proposé, il ne relèvera que la seule réserve qui colore négativement ce discours pour bien faire valoir que ce simple point peut invalider l'ensemble auquel il appartient.
C'est plus fort que lui, il faut qu'il dise quelque chose, qu'il tente encore et toujours d'enrayer le discours de l'autre et bien évidemment de façon contradictoire, même si la contradiction ne vient pas de lui et même si elle est de pure forme. Comme en passant puisque l'occasion lui est offerte par celui-là précisément qu'il vise à faire trébucher. Une fois encore, il aura signalé son opposition structurelle constamment en éveil, son a priori défensif par rapport à l'autre, quand bien même un insignifiant grain de sable lui servirait-il de support.
Même en cet instant du trajet du voyageur où nul obstacle ne se présente sur le chemin que celui-là même que le voyageur a repéré et estimé de peu d'importance, il ne manquera pas de se focaliser sur ce prétendu obstacle pour mieux le placer sous les pas du voyageur qui n'en sera pas vraiment ralenti pour autant mais qui aura, l'habitude aidant, identifié la nature du procédé: pour la forme et par réflexe il aura encore recouru à son vice.
Au fond, l'automatisme pro forma clôt la série technique comme un écho à l'étouffoir qui l'inaugurait. L'un et l'autre ne sont techniquement guère élaborés mais ils ont pour fonction essentielle de rappeler sa vigilance à ne rien laisser dire sans tenter, d'une façon ou d'une autre, - ne serait-ce que formellement - d'entraver la progression du discours de l'autre. Il lui faut saisir toute occasion de faire basculer le voyageur dans l'ornière, voire le ravin, qui longe son chemin.
Il y a aussi un peu du n'importe quoi à venir en deuxième partie, dans la mesure où il semble qu'au-delà de l'ombre d'une contradiction qu'il n'est pas possible de sérieusement mettre en place quand vraiment rien ne s'y prête - et que d'ailleurs le « travail» est déjà fait par l'interlocuteur - , il s'agit malgré tout de marquer les limites de son territoire conversationnel en disant quelque chose, quelque insignifiant ou aberrant que ce puisse être, pour ne pas laisser à autrui l'usage de la libre parole qu'il ne « contrôlerait» pas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire