vendredi 20 juin 2008

T11° L'inversion des rôles


Dans le registre de la perversité et de la malhonnêteté intellectuelle on rencontre à l'occasion L'inversion des rôles qui vise à placer artificiellement l'interlocuteur en porte à faux avec lui-même. Quand le discours de celui-ci se fait plus pressant, qu'il gagne du terrain et que l'agencement de son argumentation laisse présager une prochaine avancée qu'il ne pourra plus réfuter par un des moyens jusque là mis en œuvre, il tente de récupérer, retourner la situation à son avantage en feignant de persuader l'orateur qu'il se contredit lui-même. 

Que vos arguments, votre position de départ sont bien connus et acceptés - puisqu'ils sont bien entendu de bon sens - et qu'il ne comprend pas pourquoi vous vous obstinez à défendre d'intenables positions. Positions qui, en réalité, étaient les siennes jusqu'à ce moment précis où il a subrepticement changé de monture au milieu du gué, vous subtilisant votre marchandise (vos arguments) et vous refilant sa camelote (ses arguties). Il semble alors que ce soit lui qui tente en vain de vous ouvrir les yeux et de vous convaincre de votre erreur!

Il se passe un certain temps avant qu'on ne se rende compte qu'il vient de procéder à une inversion des rôles, qu'il a renouvelé la distribution de la scène et qu'il fait alors comme si c'était lui qui défendait votre point de vue qu'il s'est approprié. Il semble à présent que ce soit vous qui persistiez à ne rien vouloir savoir. 

Bien au contraire, victime de son tour de passe-passe, vous vous retrouvez pratiquement en situation de vous justifiez de ne pas utiliser ses arguments à votre corps défendant en continuant - sur votre élan - à combattre des arguments qui ne sont plus les mêmes, ne sont plus les siens mais presque les vôtres 5 minutes auparavant. Sans avoir rien remarqué qu'une bizarrerie soudaine dans le positionnement de chacun mais que vous n'avez pas encore eu le temps d'identifier.

Il vient, sans que vous vous en soyez aperçu de vous établir dans sa position originelle, lui prenant la vôtre. Par ce véritable tour de bonneteau il y a eu escamotage des repères jusqu'ici utilisés et que vous ne retrouvez dès lors plus. Comme si vous défendiez des arguments qui ne sont pas les vôtres et continuiez une plaidoirie contre ce qui se révèle progressivement avoir été votre opinion jusqu'alors. Il vous met alors dans une situation triplement intenable:


- a)  Vous devez vous défendre de soutenir une position qu'il vous attribue d'autorité alors qu'elle est exactement contraire à vos arguments qui s'en trouvent par-là même déstabilisés. En fait le sous-mécanisme ici actionné vous contraint à vous défendre contre la manipulation, à refuser d'endosser le costume dont il vous affuble contre votre gré, à vous démarquer du rôle qu'il vous assigne. Les convictions que vous défendiez jusqu'à présent passent au second plan, elles paraissent même vous échapper car dans ce trouble moment, vous ne savez plus très bien où vous en êtes. C'est l'apparence d'être l'objecteur de votre propre discours dont il faut vous protéger puisqu'aux yeux d'autrui il veut faire croire que vous dites à présent le contraire de ce que vous disiez jusqu'alors. En réalité il a subtilisé votre marchandise dont il a dû constater la bonne qualité pour vous refiler la sienne que justement vous contestez et il joue l'innocent qui ne peut se défendre contre votre mauvaise foi! le voleur qui crie « Au voleur! ».


- b)  Vous devez retrouver votre discours d'origine, le distinguer et l'isoler du pêlemêle qu'il vise à instaurer en mélangeant ses positions avec les vôtres de telle manière que personne ne sait plus qui est qui et qui défend quel point de vue. A vous d'isoler votre plaidoirie et de la faire reconnaître comme vôtre, ce à quoi il s'oppose désormais avec une totale mauvaise foi puisque bien évidemment il vise à l'irrémédiable confusion qui brouillera toutes les pistes. En face de vous il n'y a plus l'habituelle opposition mais bien plutôt une espèce de vide, ou l'ombre de vous-même, par le biais de vos arguments détournés et récupérés. Vous luttez presque dans le vide car il y a eu dérobade de l'adversaire qui vous laisse vous égarer dans une situation inextricable où toutes les marques utilisées jusqu'à présent se dérobent.


c)  Étant l'organisateur de l'embrouille, il se donne le beau rôle de celui qui reste au-dessus de la mêlée, qui ne se laisse pas fourvoyer comme vous - preuve de sa maîtrise du sujet et de la validité de son opinion - qu'il a placé dans un indéchiffrable écheveau d'arguments contre pseudo arguments, raisons contre préjugés et a priori. Après vous avoir mis dans une invraisemblable confusion dont vous ne savez plus vous extraire, il feint de vous attribuer des arguments qui ne sont pas les vôtres, feint de croire que telle position est la vôtre alors qu'il n'en est rien et qu'au contraire, par projection, il se libère à bon compte d'arguties dont il a perçu qu'elles sont indéfendables, qu'il vous fait endosser d'office comme si elles étaient vôtres et que depuis le début de l'échange c'était lui qui s'y opposait en tentant de vous ramener à la raison...


Complètement désorienté par ce chassé-croisé d'argumentations et de manœuvres frauduleuses, force vous est de constater qu'au mépris de toute règle de courtoisie, il vient une fois encore de se jouer de vous de la manière la plus spécieuse et la plus insultante qui soit.

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