C’est bien joli la tolérance, encore faut-il savoir de quoi l’on parle et à qui elle profite. Car se représenter cette vertu comme étant le partage de deux orateurs en étroite harmonie de sentiments est assez vain. Ce qui est plus souvent susceptible de se mettre en place est une relation où l’un des deux, tout naturellement et peu à peu, insensiblement mais sûrement, parce qu’il aura trouvé un déversoir à certaines pulsions, installera graduellement un rapport de hiérarchie à la mesure de terrain qui lui sera concédé.
Au nom de la tolérance, on laisse faire tout en n’étant pas dupe, en observant même de façon assez amusée le spectacle de quelqu’un qui dévoile jour après jour une partie de ses mécanismes relationnels et de son organisation intérieure.
Mais observer en laissant s’étendre le mal c’est aussi lui donner toute latitude pour se déployer toujours davantage.
Ce sont des petites taquineries, des piques, des traits d’esprit, de constantes petites morsures à l’ego de l’autre, de légers sarcasmes sur ce qu’il est, ce qu’il dit, ce qu’il fait, ce qu’il pense. Toujours contrôlés malgré tout pour que cela puisse encore rester dans le domaine du supportable (au nom de la tolérance toujours).
«La moquerie est de toutes les injures celle qui se pardonne le moins, elle est le langage du mépris et l’une des manières dont il se fait le mieux entendre : elle attaque l’homme dans son dernier retranchement, qui est l’opinion qu’il a de soi-même; elle veut le rendre ridicule à ses propres yeux, et ainsi elle le convainc de la plus mauvaise disposition où l’on puisse être pour lui, et le rend irréconciliable.
C’est une chose monstrueuse que le goût et la facilité qui est en nous de railler, d’improuver et de mépriser les autres»
La Bruyère (Les Caractères, De l’homme. 78)
Inutile de recourir à l’humour ou à un discret rappel des limites que peut être il serait bon de ne pas franchir, on vous reprendra au nom de la tolérance. Balzac l’avait déjà signalé bien sûr, dans La femme de trente ans :
«Toute sa finesse était employée en pure perte à des ménagements ignorés de celui-là même dont ils perpétuaient le despotisme».
Rien n’y fera. Pris dans la dynamique de sa jouissance, c’est le naturel qui se donne libre cours et rien ne semble plus pouvoir le ramener à une plus juste appréciation des rapports et à un respect plus marqué de celui qui a été élu pour cible. Le sadisme latent se dévoile et s’épanouit dans la jouissance de son expression non contenue. On se permet même de temps à autre de brusques bouffées d’agressivité, voire des colères d’adolescent contrarié qui vous répond sur un ton de commandement, de celui dont on use avec les subalternes.
Ne s’autorise t-on pas même à recourir à des appréciations non plus seulement dévalorisantes, à la limite de l’injure mais même carrément insultante et cela en toute bonne conscience? Persuadé semble t-il que la victime ne bronchera pas puisqu’il est loisible d’en user avec elle comme bon il semble. N’a-t-on pas décidé unilatéralement de ce qu’il était possible de lui faire supporter (au nom de la tolérance toujours)?
"Les petits esprits ont besoin de despotisme pour le jeu de leurs nerfs." (Pierrette)
Dans toute situation de ce genre il est tout de même loisible de se voir offrir une petite satisfaction c’est d’avoir le plaisir de se faire offrir des leçons sur ce qui se fait ou ne se fait pas, de se voire prodiguer de bons conseils sur l’art et la manière d’entretenir de saines et équilibrées relations avec son prochain.
Il est inutile de tenter faire comprendre qu’il est tout de même certaines limites à respecter et que même si les petits persiflages entre amis font partie de la règle du jeu, il est un seuil à ne pas franchir trop souvent, on atteint la saturation. En vain, la relation s’est construite en partie sur ce rapport de hiérarchie dont l’un des deux a besoin et dont il ne saurait se priver puisque c’est sa jouissance.
«Les égoïstes, ne voulant pas être gênés, ne gênent personne et n’embarrassent point la vie de ceux qui les entourent par les ronces du conseil, par les épines de la remontrance ni par les taquineries de guêpe que se permettent les amitiés excessives qui veulent tout savoir, tout contrôler» (La maison Nucingen).
On retrouve semblable composante dans The Servant encore qu’il y ait sans le film bien d’autres paramètres qui interviennent dans les relations entre les 4 personnages.
Oui, c’est bien joli la tolérance mais comme son double «inversé», l’intolérance, il faut s’entendre sur le sens et la portée qu’il convient de lui accorder faute de quoi la citation de Cioran ne manquera pas de faire apparaître la dimension sous-jacente du rapport de l’un à l’autre et dont la tolérance sera l’instrument qui en permettra la mise en oeuvre.
"On assujettit les autres pour qu’ils vous imitent, pour qu’ils se modèlent sur vous, sur vos croyances et vos habitudes; vient ensuite l’impératif pervers d’en faire des esclaves pour contempler en eux l’ébauche flatteuse ou caricaturale de soi-même"
Histoire et utopie (A l’école des tyrans)