Chaque fois que les bourses « dévissent », pour reprendre le vocabulaire « ready made » des médias, on a systématiquement droit aux mêmes photos d'employés des sociétés de courtage ou des banques, dans des poses et des expressions d'incompréhension ou d'apparent désarroi, photos destinées à bien nous persuader de la gravité de la situation.
Il y a bien de quoi s'inquiéter en effet puisque même les professionnels supposés avoir les nerfs solides paraissent à ce point tétanisés qu'ils ne peuvent s'empêcher d'exprimer les émotions les plus primaires de peur et d'angoisse devant ce qui apparaîtrait bientôt comme la fin du monde.
A la vérité, je flaire encore la bonne grosse manipulation des esprits par les journaux et autres télés qui ont une fois pour toutes décidé de l'infographie chargée d'illustrer la rubrique « Économie et finances ». Les personnes que l'on voit ainsi sont peut-être tout simplement fatiguées parce que leur boulot est fatiguant. Ou pour tout autre raison. Et peut-être ne sont-elles même pas fatiguées...
Ainsi la femme de la première image se concentre-t-elle sur son écran comme vous et moi parce qu'elle est à ce qu'elle lit et la photo n'acquière d'autre sens que celui qui émerge du contexte global et du texte qui accompagne l'article qu'illustre l'image. L'autre femme à droite porte une espèce de blouse verte avec deux écrans en arrière-plan. Le port de la blouse indique qu'il s'agit d'une employée pas du tout désespérée mais qui n'a pas assez dormi et se demande ce qu'elle va préparer pour le repas des gosses ce soir.
Pour ce qui concerne la dernière photo du type qui se tient le front elle a été prise en 2002, c'est-à-dire au moment où le CAC était à son plus haut historique (+6.000). Le gars n'a aucune raison d'être effondré par la situation du marché mais peut-être davantage parce qu'il a découvert la veille que sa femme avait un amant. Ou peut-être se tient-il tout bonnement la tête...
L'Empire des signes, pour reprendre le titre de Roland Barthes, parce que cet exemple de la façon dont les médias couvrent les marchés est typique de l'univers mental dans lequel nous vivons, fait d'images et de mots qui sont autant d'instruments de déraison et d'instrumentalisation. Au point que s'installe dans nos esprits un conditionnement d'ordre pavlovien à la vision ou à la perception de tels et tels signes chargés d'un signifiant qui lui a été attribué par ceux qui ont accès et disposent du pouvoir médiatique.
On a tous les jours mille petits exemples de manipulation subliminale, involontaire d'ailleurs je crois, c'est notre monde contemporain qui veut ça et aussi (et peut-être surtout) le panurgisme mental des journaleux devant les écrans sur lesquels ils produisent leurs textes.
Ainsi pour rester dans le domaine de la finance, combien de fois n'avons-nous pas lu des titres (accrocheurs, c'est le B A BA du métier) genre : le $ s’effondre face à l'€! Ou à l'inverse, l'euro sombre face au dollar! S'effondre? Comme les Twin Towers alors? Sombre? Comme le Titanic et il n'y a plus d'espoir? Tout ça parce qu’il y a eu une variation de 2,3% de valeur entre les deux devises et qu’il n’y paraîtra plus la semaine prochaine…
A observer combien les médias grand public dramatisent toute situation parce qu'ils reposent sur l'éternel « panem et circences », on s'attend à ce qu'un jour ce soit ce type d'image qu'ils utilisent pour impressioner définitivement les masses :
Le désespoir absolu devant la mort du Sauveur, autrement connu sous le nom d'Argent, aka Mammon.
Ce ne serait pas absurde au fond tellement la religion de l'argent et du lucre est aussi universelle que le besoin religieux de l'humanité. Mais c'est une autre histoire et le billet est bien assez long comme ça.
Allez, un dernier pour conclure...
C'est l'histoire d'un gars qui s'est pris une méchante cuite la veille au soir avec ses potes traders qui venaient d'empocher chacun leur 2 millions de bonus annuel. Alors il a mal à la tête, c'est normal...
(La crucifixion de Simon Vouet)