Aboutissement de sa perte de contrôle de la situation, le
coup de sang est dans la droite ligne du
c'est comme ça et pas autrement et de la
posture exaspérée. C'est dans cette bouffée d'autoritarisme que se lit le plus explicitement toute la dimension émotionnelle, affective, de son rapport à l'autre au travers du langage qui n'est évidemment pas un pur et simple échange d'arguments rationnels. C'est dans la mise en œuvre
du coup de sang qu'on voit combien les dispositifs techniques ne sont que des leurres qui visent à masquer la véritable nature de son implication personnelle dans ce qu'il croit être une discussion.
Quand sont bousculées ses défenses, que peu à peu la vanité de ses « arguments» est dévoilée comme l'inanité de ses résistances à admettre le discours d'autrui. Quand toutes les «méthodes» auxquelles il a pu faire appel jusqu'à présent se sont révélées impuissantes à contrer l'avancée de l'argumentation adverse. Quand, en dernier recours même le n'importe quoi s'est bien représenté pour ce qu'il est, alors il explose car il sent que l'effondrement de ses défenses lui fait perdre la face. Il vient de se rendre compte que l'attitude bornée qu'il a jusqu'alors adoptée, son obstination totalement irrationnelle et ses contorsions argumentatives n'ont eu pour autre résultat que de le faire passer pour un imbécile et un malotru aux yeux de son interlocuteur. Il est doublement vexé alors:
1° de deviner dans le regard de son vis-à-vis le jugement peu flatteur qu'on ne peut manquer de porter sur sa personne en considération des arguties mises en œuvre, des chicanes que sa mauvaise foi viscérale et sa foncière malhonnêteté intellectuelle ont mobilisées depuis le début de l'échange.
2° De devoir constater qu'il est victime de sa propre bêtise à avoir couru le risque de passer pour un idiot en rameutant des « arguments » insensés ou en actionnant le n'importe quoi. A force de tendre des pièges, il arrive qu'on tombe dedans...
Acculé dans cette situation, force lui est de constater qu'il ne peut plus chercher refuge comme auparavant dans un déploiement de méthodes toutes plus spécieuses les unes que les autres. Il ne peut plus fuir, ses méthodes sont inopérantes, il est mis à nu face à la vacuité de son attitude obstructive, n'ayant plus rien à répondre, plus rien à objecter au discours de l'autre qui menace de remporter une victoire par abandon, complète débandade de sa part. Foin de toute argumentation alors, la véritable nature de son opposition apparaît maintenant dans toute sa crudité. Ce n'est nullement son intellect qui agissait mais bel et bien sa volonté (schopenhauerienne) et il ne peut vivre alors que comme une attaque, une agression contre sa personne l'évidence de l'argumentation de l'autre qui va réussir à imposer son discours, ses arguments et donc son identité.
Il ne lui reste plus alors qu'à en appeler au respect qui lui est dû - comme si l'interlocuteur ne pensait d'abord qu'à lui manquer de respect. Encore qu'il y a vraisemblablement de ça dans la mesure où, après s'être vu des années durant infliger manœuvres, manipulations et humiliations sans pouvoir répondre comme il se doit, on ne peut manquer ressentir fortement le goût de la revanche, voire de la vengeance qu'on aspire à prendre sur lui. Quand celui qui vous maintient depuis si longtemps dans une position humiliante est bien près lui aussi, à son tour, de se voir contraint de mettre un genou à terre, de perdre la face, la tentation est grande d'aller jusqu'au bout du processus... Et c'est bien cela qu'il perçoit et qu'il ne saurait tolérer.
C'est alors la grosse colère, la crise d'autorité. Il coupe violemment la parole, il remet les compteurs à zéro, n'écoute plus rien. Il met un terme unilatéralement à la conversation, c'est comme un coup d'État. Il rend caduques toutes les règles habituelles de la conversation et tacitement, par la violence de son verbe et de sa gestuelle, il laisse comprendre qu'il a à disposition d'autres moyens de se faire respecter. Il n'y a pas de doutes à avoir, c'est bel et bien d'un chantage à la violence physique dont il s'agit. Puisqu'il n'a pu venir à bout par la raison, par ses raisons et ses chicanes de la situation dont il a perdu le contrôle, il vous fait clairement percevoir qu'il peut recourir à d'autres méthodes, méthodes qui ont toujours fait leurs preuves avec sa femme et ses enfants...
Devant l'élégance et la délicatesse de cette rhétorique, l'interlocuteur ne peut effectivement que lui laisser la satisfaction imaginaire d'avoir rétabli la situation et d'avoir conservé son estime de soi... mais s'il y avait encore la moindre illusion sur la nature de sa relation à autrui, elle est à présent définitivement éventée: Par tous les moyens l'autre sera réfuté dans son être même et ce quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir de ces moyens. Car peu lui importe l'opinion d'autrui puisqu'au fond autrui n'existe pas.