dimanche 18 mai 2008

Rendez-vous à Samarra



On est en plein désert arizonien, le silence est absolu, Wile Coyotte regarde prudemment à droite, à gauche avant de traverser une voie ferrée puis se fait écraser par un convoi déboulant à 200 à l'heure de nulle part. A moins que ce ne soit chez Tex Avery.

D'où est venu ce gag si ce n'est d'une intuition, comme si les auteurs avaient eu le privilège d'accéder à un reflet d'une réalité autre que celle qui se donne au quotidien dans sa matérialité brute?

On entend 2, 3 fois l'an rapporter un accident mortel résultant du croisement fracassant d'une automobile et d'un train sur un passage à niveau. La voiture est tombée en panne au milieu du passage à niveau quand arrivait le direct en direction de Pézenas nous dit-on.

Ce genre de micro événement ne laisse pas de me laisser songeur.

Comment se fait-il qu'une voiture qui a 4 ans d'âge par exemple, 55.000 km au compteur, tombe en panne ce jour là, à cette minute précise, en cet endroit exact, pas deux mètres avant, pas deux mètres après, quand passe un train sur une voie où peut-être il n'en passent pas 3 par jour, avec une telle précision dans le déroulement du drame que le conducteur de l'automobile n'a pas même le temps de sortir de son véhicule?

On parlera de coïncidence, de hasard, du destin, tous mots qui n'expliquent rien. Mais y a t-il quelque chose à expliquer?

En termes de probabilités, ce type de rencontre, dans ces circonstances, est quasi impensable et pourtant. Est-ce une manifestation métaphysique, voire divine pour ceux qui croient?

N'est-ce pas comme une équation à une inconnue qui restera toujours inidentifiable? Parce que la raison est ici prise en défaut dans une mise en scène tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Une voiture, un train, un instant, un lieu. 2 objets, le temps et l'espace. On sait faire avec habituellement.

Mais il y a là une impasse, quelque chose qui échappe. C'est un peu comme un tour de prestidigitation dont on ne connaît pas les ressorts mais dont on sait qu'il y en a un (ou plusieurs). Mais là, on n'ose penser qu'il y a une "astuce", l'idée même ne vient pas à l'esprit, ce serait s'engager dans une direction susceptible de nous amener face à de redoutables apories.

Fait divers insignifiant et dont vous pouvez vous demander pourquoi je m'y arrête. Et pourtant, si l'on y réfléchit quelques instants, on perçoit qu'il est peut-être comme la brève et fugitive occasion qui nous est offerte de contempler un insaisissable reflet d'un univers parallèle.

Il y a bien des choses qui nous dépassent décidément...

9 commentaires:

ZapPow a dit…

Tiens, pour entretenir ta songerie :

http://tinyurl.com/6mvxtg

http://tinyurl.com/566ouy

Remarque, ce ne sont pas les mtifs de songerie qui manquent.

A+.

ZapPow a dit…

Au fait, à quoi exactement ton titre fait-il allusion ? Au roman de John O'Hara, ou à l'histoire du serviteur du marchand de Bagdad ?

Tiens, pendant que j'y suis, voici le o qui manque dans le message précédent.

Flocon a dit…

Merci pour le lien sur l'arbre du Ténéré. Je conaissais ce nom depuis des années sans savoir de quoi il s'agissait. Ce qui reflète bien mon eurocentrisme.

Ce n'est pas tout à fait du même ordre que ce dont je parle puisqu'il y a une explication scientifique à la survie de cet arbre.

La météorite relève bien du même registre du quasi incompréhensible en effet. Plus encore peut-être si l'on songe qu'une météorite a parcouru des centaines de millions de kms depuis des millions d'années et qu'elle tombera sur la tête d'un individu qui n'existait pas quelques années auparavant...

Le biais qui peut-être oriente ma rêverie est d'identifier l'individu en tant qu'être vivant et non simplement comme objet, dans ce cas.
La météorite tombe quelque part (ou ne tombera jamais) peu lui chaud que ce soit sur de la terre, de l'eau ou un organisme vivant.

Le titre fait allusion à l'histoire du serviteur du marchand de Bagdad. Le titre du roman d'Ohara s'inspire de la légende arabe mais je crois qu'il n'y a rien d'autre que ce titre comme lien avec ladite légende.

Un titre à lire ou a t-il par trop vieilli? Life is too short indeed...

ZapPow a dit…

Un titre encore à lire, à condition de le trouver, ce qui n’est pas chose facile, vu qu’il n’y a pas eu de réédition depuis au moins 30 ans.

En fait, il semblerait que John O’Hara ait choisi ce titre pour marquer l’inéluctabilité du destin de son héros. Ce n’était pas le titre originel, qui était quelque chose comme "Le bosquet infernal" ou "Le verger infernal", titre qui ne plaisait qu’à l’auteur, et encore. Il aurait trouvé l’histoire du marchand de Bagdad en épigraphe à une pièce de Somerset Maugham que lui aurait donné à lire Dorothy Parker.

Je crois qu’il y a deux cas de figure. Dans le cas du serviteur du marchand de Bagdad, et dans celui du héros d’O’Hara, la "destinée" frappe car l’homme se soumet à une pulsion irraisonnée. O’Hara ne montre l’inéluctabilité du destin de son héros qu’une fois que ledit héros a cédé à sa pulsion, il lui manque de montrer l’inéluctabilité de la pulsion, qui est plus apparente dans l'histoire du marchand de Bagdad.

Pour ce qui est de la météorite, là, c’est encore plus intéressant : hasard, volonté divine…

PS. Pour l’arbre du Ténéré, je m’intéresse plus à la circonstance de sa disparition qu’à son existence. Son existence ne pose aucun problème, encore qu’on peut se demander pourquoi il était tout seul. Mais sa disparition, là il y a matière à réflexion, surtout que le soûlard qui lui a foncé directement dedans n’avait aucun souvenir des circonstances et était bien en peine d’expliquer pourquoi il avait embouti le seul arbre à des centaines de km à la ronde.

Flocon a dit…

Rendez-vous à Samarra n'est sans doute plus disponible à la vente mais, j'ai vérifié, il y a 3 ou 4 exemplaires dans les bibliothèques de la Ville de Paris.

Tu en parles comme si c'était une lecture récente que tu as encore bien présente à l'esprit. Peut-être est-ce le cas ou peut-être fais-tu partie de ces gens qui ont cette étonnante faculté mémorielle de porter les livres qu'ils ont lus en eux.

Ce qui m'épate, moi qui ne me souviens souvent plus le moins du monde de nombre de livres que je sais pourtant avoir lus.

l’inéluctabilité de la pulsion, qui est plus apparente dans l'histoire du marchand de Bagdad.

Ce que les Arabes nomment "fatalisme" n'est-ce pas ce qu'en Occident on conceptualise par déterminisme?

L'arbre du Ténéré devait bien disparaître un jour ou l'autre. L'échelle de temps est incomparable avec les objets célestes. On est plus proche de l'échelle humaine/animale.

Pour reprendre tes mots: hasard, volonté divine… s'appliquent ici aussi.

Quant au soûlard qui l'a démoli, là je ne m'étonne pas. Il devait y avoir une piste qui passait au pied de l'arbre. Ne serait-ce que parce que c'était un point de repère dans le désert. L'alcool faisant voir double, le gars a dû être perturbé par cette vision inattendue, quasi fantomatique, il a pris peur... et voilà... ;-)

ZapPow a dit…

Tu en parles comme si c'était une lecture récente que tu as encore bien présente à l'esprit. Peut-être est-ce le cas ou peut-être fais-tu partie de ces gens qui ont cette étonnante faculté mémorielle de porter les livres qu'ils ont lus en eux.

Non, non. Un vague souvenir rafraîchi par la lecture récente d'un article (dont je serais bien en peine de te dire où je l'ai lu). Je ne porte aucun livre en moi, encore que, et c'est difficile à expliquer, et un peu bizarre, je n'ai pas oublié "Le prophète", de Khalil Gibran, tout en étant incapable d'en citer grand chose (va falloir que je le relise, tiens). J'ai la même impression pour "La conjuration des imbéciles", de John Kennedy Toole.

Ce que les Arabes nomment "fatalisme" n'est-ce pas ce qu'en Occident on conceptualise par déterminisme?

Oui, dans l'esprit de beaucoup, encore qu'il y a une sacrée différence entre l'un et l'autre, le premier n'étant pas scientifique (les événements se produisent en dehors de toute logique, l'effet se produit quelle que soit la cause), le second l'étant, et pouvant se résumer par "à tout effet sa cause".

Anonyme a dit…

A un bout du spectre se trouve l'accident train-auto du côté de Pézenas, à l'autre bout le gagnant au loto : une chance sur un milliard dans les deux cas. Entre les deux, c'est là qu'on vit, avec des hasard un peu minables, bons ou mauvais : des accidents qui sont presque arrivés, des loteries où on perd ou on gagne mais pas trop.

Il m'est arrivé de me dire que je ne devrais pas aller à tel moment à tel endroit où j'ai prévu d'aller, de peur d'y rencontrer ce que l'Ankou avait prévu pour moi. Don't ask for whom the bell tolls. It tolls for thee...

En tout cas tu n'es pas allé à Samarra. Je suis sûr que tu étais en Italie.

Etchdi

Flocon a dit…

Tu as plus de chances que tu ne crois de gagner le gros lot au Loto, Etchdi. C'est une question de factorielles.

(49 x 48 x 47 x 46 x 45 x 44) / (6 x 5 x 4 x 3 x 2 x 1) = 13 983 816 combinaisons.
Vos chances de gagner le gros lot au Loto français sont donc de 1 contre 13 983 816.


Don't ask me more, je ne sais même pas additioner 2 fractions...

c'est là qu'on vit, avec des hasard un peu minables, bons ou mauvais

Sauf à ne pas t'avoir compris, j'adhère totalement à cette vision déterministe de la vie. Au moment même de notre conception, il y a une possibilité sur un milliard que ce soit ce spermato plutôt qu'un autre.

Avant même la conception, les parents, leurs parents etc. depuis Lucy ou presque se sont rencontrés par tel et tel accident, rencontre de hasard ou de fortune.

Bon, on fait avec (what else anyway?) mais est-il utile de s'illusioner sur notre prétendu libre arbitre? Certains en ont besoin sans doute...

On peut aussi penser que La vida es sueño et la vivre comme telle autant qu'on peut. De temps en temps, chacun est susceptible de traverser pendant quelques instants ce qu'on appellera des "moments magiques", "moments de grâce" comme il est accoutumé de dire. Certains une fois dans leur vie, d'autres de plus nombreuses fois.
Curieusement, M. Onfray développe ce thème dans la première partie du livre dont j'ai parlé.

L'Ankou, sous mille et une autres figures, doit se retrouver dans toutes les cultures non? En Chine comme au Japon, dans les civilisations pré-colombiennes comme dans les cultures africaines.
J'imagine bien que ce personnage est universel. Associé à la pensée magique, parente de la superstition.

Mais si la vie est un songe, pourquoi n'accepterait-on pas la superstition comme mode de pensée au même titre que la rationalité occidentale?

Il est vrai que quand on est sérieusement malade, on est plus attiré par la dernière que par la première... :-)

Heu... Pour l'Italie... ben non :-(
La photo choisie pour le billet "au vert", sans la rechercher spécifiquement (encore un hasard) se trouve avoir été prise dans la région de Vézelay où, effectivement je me trouvais. C'est après l'avoir mise en ligne que j'ai appris son origine. Comme quoi...

Mais pour Samarra, tu as raison, je n'y suis pas (encore) allé, mais un jour, à n'en pas douter, j'y retrouverai qui m'y attend.

Anonyme a dit…

Ah les moments de grâce, quel beau sujet ! Je n'ai pas lu l'Onfray dont tu parles, mais je me doute qu'il y fait aussi la part du vaste hasard.

C'est vrai, l'Ankou existe partout dans le monde, mais seul importe celui que je connais, celui qui passe la nuit dans les chemins avec son chariot qui grince. Les autres me paraissent moins inexorables.

J'ai lu quelque part que la superstition rassure tout le monde, même ses victimes. C'est vrai, pourquoi vouloir trouver une rationalité, même en dehors. Ceci sans préjuger de son parent le rituel, vide de sens réel mais qui au moins ne veut rien justifier. Ah, rituels ! Ah, bistrots ! O châteaux !

Etchdi