Un dessin animé américain, les Simpson, a popularisé une image auprès de tous les Américains, celle de chease eating surrender monkeys en parlant des Français.
Cette équation French = surrender est devenue véritablement obsessionnelle dans l’Amérique contemporaine. Il ne s'agit pas là d'une plaisanterie "comme une autre" vis à vis d'une entité culturelle donnée et étrangère mais fondamentalement d'une posture morale qui se lit ainsi:
French = surrender = coward = inferior = despicable.”
Il est nécessaire de pousser plus loin cette succession d’égalités.
Quand on traduit la phrase “cheese-eater surrender monkey”, on trouve condensé tout l’arsenal le plus abject du racisme colonialiste.
Chease eater: On sait les restriction draconiennes imposées aux US relativement aux fromages importés de France. C’est unhealthy, malsain, vecteur potentiel de maladies. Il faut être Français, donc peu regardant sur l’hygiène, pour manger des fromages au lait cru. On inaugure une trajectoire…
Surrender: Pas des vrais hommes qui eux ne se rendent jamais; on frôle le concept d’Untermenschen. Pas encore des animaux (encore que les Français mangent du fromage, nourriture dont on ne sait si elle convient plus aux humains qu’aux animaux.)
Monkey: Le pas est franchi, c’est bien à l’animalité qu’il s’agit de ramener les Français. Et c’est dit et répété sans broncher par des millions de canaux aux US.
Que la suggestion d’une proximité du discours anti-Français avec la rhétorique nazi soit inacceptable à la conscience américaine je peux le comprendre, cependant il s’agit bien du même processus mental qui consiste à rabaisser une certaine catégorie de l’humanité jusqu’à suggérer que ladite catégorie est indigne de faire partie de cette humanité. Ne parle t-on pas d’animaux? Quand on n’ajoute pas que les Français sont hairy, (comme les animaux) qu’ils sentent, they stink (comme les animaux).
Variation sur le même thème: Jon Steward, qui a récemment fait de l'esprit à ce sujet, anime une émission de comédie satirique. Il use de tropes, de stéréotypes sans intention de nuire. Ben voyons… Il y a des stéréotypes avec lesquels on ne joue pas sauf à les perpétuer et à les valider par le simple usage que l’on en fait.
- Imaginons que systématiquement en France on associe la négritude avec “Alors? Y’a bon Banania?” Ah mais oui, mais c’est un stéréotype, un trope etc.
Ou alors s’adresser systématiquement à un Noir sur le modèle: “Toi y’en à être un bon négro. Toi y’en a content être en France?” Haha, giggle, c’est juste un stéréotype, un trope… “Toi pas content? Toi y’en a être susceptible. Toi apprendre vrais hommes savoir apprécier plaisanterie. Toi pas encore vrai homme.”
- A un Juif qui se verrait régulièrement demander (par exemple): “Pourquoi cela sent-il toujours le Zyclon B quand vous êtes dans une pièce?” haha, giggle, juste un trope, un stéréotype. C’est une émission satirique sans intention de nuire. “Il vous manque toujours un petit bout quelque part?” On rigole, on rigole…
- A un Arabe: “Are you gonna behead me? C’est bon le couscous? Il est où ton chameau?” Haha, giggle, c’est juste un stéréotype, un trope…
- Un Asiatique se verrait régulièrement demandé s'il n'a pas mangé trop de citrons ou s'il a la jaunisse.
Imaginons un Noir, un Juif, un Arabe, un Chinois qui depuis des années se verraient sys-té-ma-ti-que-ment associés à ce genre de stéréotypes, pas de doute, ils sauraient apprécier.
“Il n’y a pas si longtemps, la terre comptait deux milliards d’habitants, soit cinq cents millions d’hommes et un milliard cinq cents millions d’indigènes”
JP Sartre (préface aux Damnés de la terre de F. Fanon)
En toute bonne conscience manifestement, l’Amérique contemporaine reproduit trait pour trait la dynamique raciste dont se servaient les colons français vis à vis des colonisés africains et arabes du temps béni des colonies, quand il s’agissait de faire intérioriser aux populations locales que leur statut “différent” les maintiendrait toujours hors de portée de la pure humanité incarnée par les blancs.
Le Noir est une personne (Hegel), un esclave émancipé (Marx), il n’a pas encore été reconnu comme homme. C’est pourquoi il demeure fixé dans son être pour l’autre, cet autre, le Blanc, dans lequel « se condense le sens de sa vie ».
F. Fanon.
Il y a eu déplacement d’une surface de projection (les Noirs américains jusque dans les années 60) vers une autre, les Français. Mais il s’agit bel et bien de la même rhétorique fondamentalement raciste et suprémaciste qui anime ses auteurs; La différence avec l’idéologie nazie, je ne la vois pas. Il est d’ailleurs remarquable que chaque fois qu’est évoquée la défaite de 1940, on se demande si les courants américains qui semblent s’en délecter, et qui en tout cas en font leur miel, ne se sentent pas plus proches des assassins (les Nazis) que de leurs victimes.
Tout cela est très révélateur d’un certain courant de “pensée” américain et comme toujours dans ces cas, on en apprend plus sur l’insulteur que sur l’insulté.
On est dans le registre de l’immonde mais on veut nous faire croire, en tout bonne foi sans aucun doute, qu’il s’agit de plaisanteries sans portée véritable. Bien sûr, bien sûr…
Qui plus est, rien de bien neuf sous le soleil pour ce qui concerne ce rapport pervers et fondamentalement raciste de l'Amérique aux Français.
On n’a, à mon sens, pas assez prêté attention au personnage de
Pepe le Pew qui n’est autre qu’un putois (ou une moufette, peu importe), animal dont la caractéristique première est sa puanteur.
Première apparition en janvier 1945. N’était-on déjà pas dans ce registre d’infériorisation du Français par le biais d’un questionnement sur son humanité et sur la “vraie” nature de son identité? Sur le mode humoristique bien sûr… ça n’a pas de portée.
Les concepteurs de cette série auraient-ils même osé 50 ans auparavant représenter les Noirs sous les traits d’un animal qui pue?
Seule comparaison qui me vient à l’esprit: la propagande nazie qui réalisait des films où les Juifs étaient des rats! Tout le monde a vu ces images.
Une fois encore, je ne vois pas la différence.